Cold War
Pawel Pawlikoski
par André Roy
Il y a quatre ans, Pawel Pawlikowski a reçu le Prix de la critique internationale et l’oscar du meilleur film en langue étrangère pour son film Ida. Si le film a fait une belle carrière dans le monde, ce ne fut pas le cas en Pologne où l’opus a été mis sur une liste d’œuvres à ne pas soutenir. Le film n’a pas pu passer à la télévision polonaise, une censure qui rappelle le « bon » temps de la période communiste. Rappelons que Ida raconte l’histoire d’une fille juive épargnée par les assassins de sa famille et qui, adulte et religieuse, revient dans son village natal pour « déterrer » la vérité. Le film touchait à une période noire de l’histoire polonaise et a été attaqué autant par la droite que par la gauche, dans un pays toujours tenté par ses vieux démons.
Il n’est pas sûr que Cold War*, deuxième film tourné en Pologne par Pawlikowski (qui avait fait carrière auparavant en Angleterre) reçoive un accueil plus chaleureux. L’œuvre n’a pas été subventionnée par les instances polonaises ; c’est la raison pour laquelle la France l’a en grande partie produite et qu’elle est présentée dans le cadre de Cinemania. Le réalisateur a déjà dit qu’il redoutait la réception de cette fiction tourmentée sur un amour en pleine guerre froide et sur des personnages, quoiqu’animés d’un attachement intense pour leur pays, quittent celui-ci (mais pour y revenir finalement).
Un trio composé d’un musicien (Viktor), d’une musicologue (Irena) et d’un bureaucrate du parti (Kaczmarek) parcourt la campagne polonaise boueuse et ingrate pour collecter le patrimoine musical du pays afin de préserver ses trésors folkloriques. Dans une première partie, le trio est chargé de mettre en scène par des chants et des danses un art populaire pourtant méprisé par les élites. On monte donc plusieurs spectacles destinés à propager dans la Pologne et les pays du bloc communiste ce qui serait l’essence de la culture polonaise. Lors d’une audition, Viktor est séduit par une jolie fille blonde, Zula. Débutera alors une deuxième partie : une histoire d’amour qui aura de nombreux hauts et bas. Cela tiendra à la fois du climat politique, qui ne plait pas à Viktor lequel a une vision moderne de la musique (il aime par-dessus tout le jazz), et aux relations de couple avec une Zula attirée par le succès. En fait, les deux amoureux seront en proie à leurs démons personnels et ballotés par les forces historiques du destin.
Procédant par ellipses, le réalisateur raconte cet amour impossible sur dix ans, au moment où la guerre froide atteint son acmé, imprégnant d’un gris métallique paysages et sentiments. Viktor, lors d’une tournée à Paris, passe à l’Ouest, seul, sans Zula, qui n’a pas voulu le suivre. Elle se ravisera plus tard, et les amants tenteront de gagner leur vie, lui comme pianiste et elle comme chanteuse (qui aura même une certaine réussite). Les deux amoureux reviendront une fois en Pologne, mais la quitteront pour, à la toute fin, s’y retrouver.
En s’attardant sur les moments importants de la relation du couple, le cinéaste dépeint les infortunes du désir soumis aux aléas de l’Histoire. On passera donc de l’enchantement des premiers moments d’un coup de foudre amoureux à l’étiolement d’une passion irréconciliable. L’union amoureuse est tumultueuse, à l’image des guerres idéologiques entre l’Est et l’Ouest qui plombaient alors la réalité politique et sociale de l’après-guerre, une réalité que le réalisateur suggère plutôt qu’il ne l’ancre dans le récit. Cette tragédie intime se déroule dans une tristesse pesante ; une tristesse rendue plus saturante encore par des plans au format carré (le ratio de l’image est de 4:3), tirés au cordeau, qui emprisonnent les protagonistes – comme l’auteur l’avait fait avec Ida – et qui rendent l’air irrespirable. Ce qui a pour effet d’isoler les amants, qui désertent ainsi l’histoire, l’Histoire avec un grand H. Ils se retrouvent seuls à la fin, dans une Pologne toujours aussi morne et austère, acculés à un choix déchirant : continuer à vivre une vie violente et, d’une certaine façon, ratée, ou d’y mettre brutalement fin par le suicide.
Le cinéaste traduit ce lent combat entre la détresse et l’enthousiasme, entre le salut et la délivrance mortelle des maux, dans une esthétique si soignée qu’elle nous éloigne des personnages qui, à mesure que la fiction avance, suscitent de moins en moins de compassion. Viktor et Zula suffoquent dans une atmosphère de l’après-guerre volontairement voulue déprimante par l’auteur ; leurs sentiments sont bridés par une structure rigide (la succession mécanique des départs et retours) qui vient atténuer l’ampleur romanesque du récit. Pawel Pawlikoswki déçoit donc un peu avec cette deuxième œuvre polonaise, certes désespérée dans son fond, mais moins émouvante que Ida. – André Roy
*Le film est repris au Théâtre Outremont le jeudi 8 novembre, à 18 h.
6 novembre 2018