Color Out of Space
Richard Stanley
par Jérôme Michaud
Premier volet d’une trilogie d’adaptions de H. P. Lovecraft planifiée par Richard Stanley, Color Out of Space mène son spectateur au cœur d’une zone mystérieuse qui n’est pas sans rappeler Stalker et, plus récemment, Annihilation. Suite à l’écrasement violent d’une météorite lumineuse sur le terrain des Gardner – se déroulant lors d’une magnifique scène où l’on alterne rapidement entre chacun des membres de la famille – la faune et la flore environnantes se transforment, alors que les appareils électroniques deviennent instables, voire inutilisables. La quiétude de la famille isolée au milieu d’une forêt dense se voit alors entièrement déstabilisée. De la simple apparition de fleurs étranges jusqu’à la transmutation d’animaux, la force astrale aux émanations rosacées remet en cause la stabilité de l’écosystème terrestre entourant la maison des Gardner, le film ayant tôt fait de créer des ponts évidents entre les problématiques écologiques actuelles et celles produites par l’objet stellaire, plus précisément au sujet de la question de la contamination des eaux constamment ramenée à l’avant-plan du récit. Le film propose de comprendre l’entité extraterrestre qui se terre et infecte le fond du puits des Gardner comme une manifestation des effets de la pollution généralisée en cours. Le cinéaste traite ainsi, par la bande, d’un sujet d’actualité, celui de la crise de l’eau potable. Or, si ce chassé-croisé paraît stimulant à première vue, Stanley ne s’en tient qu’à un traitement de surface qui n’a pour but que de donner un tant soit peu de substance à un film convenu, mais tout de même efficace, surtout lorsque vient le temps d’utiliser lumière et fumée pour créer des ambiances lugubres.
Les limites du film s’expriment entre autres par la nature trop stéréotypée des personnages. Dès le début, il devient aisé de saisir les motifs de chacun et de circonscrire les schèmes comportementaux dont le cinéaste fera ensuite usage ad nauseam. Nathan (Nicolas Cage) est présenté comme un père de famille surprotecteur qui, dès qu’un imprévu survient, trouve son apaisement dans l’alcool. Sa fille, Lavinia, est introduite sous les traits d’une adolescente tourmentée au style gothique qui croit pouvoir tout résoudre à coup de rituels bien orchestrés. Enfin, pour ne mentionner que ceux-là, Ezra est la représentation parfaite de l’ermite babacool qui, évidemment, a toujours un coup d’avance sur la compréhension des phénomènes engendrés par l’arrivée de la météorite et ce, grâce à sa connexion privilégiée avec la nature. Ces traits forcés des protagonistes désamorcent toutes les surprises que le récit entend produire. Heureusement, dans son dernier tiers, Color Out of Space réussit à étonner quelque peu alors que l’intensité des dérèglements naturels engendrés par la météorite y culmine, faisant alors dérailler les personnages de leur droit chemin. Nathan finit par afficher la même désobligeance que Cage avait dans Bad Lieutenant: Port of Call New Orleans, tout en conservant la folie et la rage sanguinaire qu’il incarnait dans Mandy. La performance de Cage demeure néanmoins bien en deçà des deux opus cités puisque Color Out of Space exploite ces aspects de son jeu qu’en fin de parcours.
L’œuvre de Stanley arrive mal à gommer le fait qu’il modifie complètement la temporalité de la nouvelle de Lovecraft. L’histoire présentée par le cinéaste ne dure que quelques jours alors qu’elle s’étale sur plus d’une année dans la nouvelle. Soit, l’adaptation prend de nombreuses libertés avec le texte original. Celle-ci pourrait en être une parmi tant d’autres s’il n’était flagrant que Stanley ne parvient pas à rendre crédible le comportement de ses protagonistes à l’intérieur de cette contraction temporelle. Le film laisse poindre des indices d’une déstabilisation temporelle qui lui est propre, mais elles ne résolvent pas le fait que l’environnement physique change de façon ultra accélérée, en quelques jours seulement, et que les personnages ne réagissent pas à ce bouleversement. Comment ne pas complètement décrocher lorsque l’on voit Nathan cueillir candidement ses tomates bioniques, comme si de rien n’était, dans une mise en scène sonore et lumineuse empreinte de féérie?
L’étrangeté et l’horreur chez Lovecraft fonctionnent généralement sur la base de l’indescriptibilité (voir 24 images 189, décembre 2018, texte d’Alexandre Fontaine Rousseau, p. 84-89) et la nouvelle The Colour Out of Space ne fait pas exception. La monstration propre à l’image cinématographique ne peut évidemment pas rendre la couleur émanant de la météorite inquiétante en elle-même – ce qui était le cas dans l’œuvre de Lovecraft. Stanley s’organise bien sûr pour alimenter le côté horrifique de son œuvre autrement, ce qu’il fait avec efficacité, mais ce n’est pas sans entrer dans la spectacularisation, sans avoir recours à des tropes éculés ou à une scénarisation déficiente.
8 février 2020