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Critiques

Contes de l’âge d’or

Cristian Mungiu

par Pierre Barrette

Le réalisateur roumain Cristian Mungiu, primé à Cannes en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, récidive dans Contes de l’âge d’or avec un film à sketches en cinq parties qui relate la vie des gens ordinaires à l’époque de Ceausescu (six ont été tournées, mais à Cannes chaque représentation offrait une sélection différente – il s’agissait paraît-il de recréer la confusion qui régnait alors en Roumanie…). Le film se présente en fait comme un effort collectif, puisque chacun des segments (tous scénarisés par Mungiu) a été réalisé par un cinéaste différent; l’unité de ton et de style n’en souffre pourtant jamais, car rarement un tel projet n’aura aussi bien réussi, justement, à donner l’impression d’un objet unique quoique multiface, d’une oeuvre cohérente à la fois dans son propos et son esthétique.

Chaque sketch illustre un « mythe » concernant la vie dans le système dictatorial roumain, qui imposait aux citoyens un tel lot de privations institutionnalisées et de frustrations quotidiennes que chacun se voyait forcé à des sommets d’inventivité et de débrouillardise, ne serait-ce que pour s’assurer du minimum vital – par exemple avoir des œoeufs pour Pâques (La légende du policier avide) ou se payer de très rares luxes, comme un magnétoscope (La légende de l’activiste zélé). La peur du voisin, l’extraordinaire pouvoir conféré aux apparatchiks du parti, le traitement hautement idéologique du moindre événement public caractérisaient également le régime, désigné très ironiquement comme l’âge d’or de l’histoire roumaine ; aussi la visite de dignitaires dans un village (La légende de la visite officielle) ou encore une photo de Ceausescu à la une du journal « officiel » (La légende du photographe officiel) deviennent-elles sous la plume acérée de Mungiu et la mise en scène sans complaisance des réalisateurs des fables morales souvent très drôles et toujours extrêmement critiques, sans succomber à un esprit revanchard qui alourdirait l’ensemble. C’est que le regard – à la limite de la nostalgie – porté sur ces années difficiles est empreint d’une grande tendresse pour les gens qui les ont vécues.

Ce texte a déjà été publié dans le numéro 146 de la revue 24 Images.


21 octobre 2010