Critiques

Coraline

Henry Selick

par Helen Faradji

Avant Henry Selick, personne n’aurait pensé à cette alchimie un peu folle : entrelacer l’expressionnisme gothique et le monde de l’enfance. Ne pas se contenter de l’émerveillement, y laisser une place à l’effroi. Bien sûr, on entrevoyait déjà le potentiel halluciné de cette union chez Lewis Carroll ou dans les premiers Miyazaki (il assumera complètement cette direction plus tard dans Spirited Away avec le génie que l’on sait), elle était aussi en germe dans les pages de la plupart des contes de fées.  Mais c’est bel en bien en 1994, lorsque Selick a mis en images animées l’univers fantastique de Tim Burton dans The Nightmare Before Christmas, que l’association s’est mise à aller de soi. Au point même que si elle surprend forcément moins dans Coraline dans lequel Selick donne cette fois vie à un conte signé Neil Gaiman, elle reste toujours aussi évidente.

Profitant toujours du charme fait main d’une animation stop motion maîtrisée à laquelle se superposent des effets 3D sensationnels (une première), Coraline n’a en effet pas peur de faire peur. Dans le monde de l’animation, ce n’est pas rien. Pas d’édulcorant ici, pas de pilule enrobée pour les chers bambins. Mais de l’imagination à ne plus savoir quoi en faire. Des inventions brillantes, de la débrouillardise épatante dans chaque plan. L’univers est féerique autant qu’effrayant, fantasmé autant qu’angoissé. Les angles de prise de vue sont sans cesse torturés comme pour mieux asseoir l’étrangeté du monde recrée. Et tant pis pour les trouillards. Un bon film, ça se mérite. Puis, après tout, jouer à se faire peur – puisque c’est bien de cela dont il s’agit – on n’a pas encore inventé mieux pour se distraire.

De quoi s’agit-il au juste? D’une petite fille, Coraline donc, fraîchement débarquée dans une vieille maison toute hitchcockienne entourée de champs brumeux. De ses parents, trop occupés pour s’attarder à son cas. D’un passage secret qu’elle découvre vers une réalité parallèle où d’autres parents, similaires aux siens sauf pour les boutons qu’ils ont cousus sur leurs yeux, rivalisent d’attention et de gentillesse, de bonne humeur et de créativité et où des souris dansent comme dans un film de Busby Berkeley. Forcément, Coraline s’y amuse. Jusqu’au jour où…

Jusqu’au jour où l’utopie d’un monde idéal se fissure pour laisser apparaître le vrai visage de la tyrannie. Jusqu’au jour où le totalitarisme ne se déguise plus sous des oripeaux couleur dragée acidulée. Car, à bien y regarder, c’est aussi de cela dont Coraline parle. Aux plus grands. Des dangers des mondes trop parfaits pour être vrais. Des dérives et du conformisme des univers poudre aux yeux. De l’imperfection comme condition sine qua none du vrai bonheur. Voilà qui trouble. Voilà qui enthousiasme. Un film techniquement parfait, la fantaisie d’un imaginaire novateur assumée sans honte, une joie indéniable à se laisser emporter par ce monde de bric et de broc et un sous-texte politique drôlement intelligent : impossible de ne pas se sentir formidablement gâté par Coraline.


23 juillet 2009