Critiques

Crazy Heart

Scott Cooper

par Damien Detcheberry

L’artiste vieillissant, abîmé par des années d’égarement éthylique ou croulant simplement sous le poids de son propre mythe, semble ces temps-ci plus que jamais propice à la rédemption cinématographique. Crazy Heart, à ce titre, aura pour beaucoup un air de déjà-vu. Ceux qui ont vu notamment le film de Xavier Giannoli, Quand j’étais chanteur, avec Gérard Depardieu et Cécile de France, y trouveront une trame étonnamment identique – celle d’un musicien sur le déclin, écumant les lieux de perdition en y rejouant ses vieux hits, et sauvé par l’amour d’une jeune femme. Saison des récompenses oblige – et le Golden Globe remporté par Jeff Bridges pour son interprétation de Bad Blake ne contredira pas cela – la résurrection de Mickey Rourke dans The Wrestler l’année passée revient forcément en mémoire, elle aussi. Si la vieillesse est un naufrage, Hollywood sait, au moins depuis Titanic, qu’il faut choyer ses épaves.

Dans la grande mare des redites hollywoodiennes, peut-être faut-il voir à travers ces films en forme d’épitaphes -– on pourrait y ranger également Gran Torino – – le mea culpa tardif de la jeune génération vis à vis d’un âge d’or en réhabilitation – Le Nouvel Hollywood des années soixante-dix –- au sein duquel Jeff Bridges, Mickey Rourke, Robert Duvall et tant d’autres on fait leurs armes. D’où la pléthore de prix et d’hommages faits aux doubles lumineux de cinéastes plus grands que nature repartis, eux, dans l’ombre – le retour en force de Francis Ford Coppola semble toutefois entamé, on attend toujours celui de Michael Cimino…

Accordons tout de même une certaine grâce à cette touchante histoire de rédemption sur fond de musique country. Principalement parce qu’elle est interprétée par Jeff Bridges, dont la carrière, loin d’avoir sombrée, navigue discrètement entre apparitions sympathiques dans des blockbusters (Iron Man, Tron) et rôles marquants dans des cinématographies plus exigeantes (The Big Lebowski, Tucker, The Fisher King, Starman). Le charme de Crazy Heart est à l’image de la stature bienveillante du comédien : Jeff Bridges impose au film son rythme de country-blues essoufflé, par sa présence massive et son élégance tranquille. Il marche, maladroit et solitaire, comme un taureau blessé dans une arène madrilène, et marmonne comme un Mitchum crépusculaire. Il coule dans ses veines le nectar du star-system d’antan. Le simple plaisir d’observer l’acteur inspiré justifie à lui seul de passer outre le manque d’originalité du sujet et la transparence de la mise en scène. On sent chez lui, autant que le tabac froid et l’alcool de supermarché, une sincérité qui rend d’autant plus belle la petite musique du film – pas seulement celle de la bande originale, récompensée elle aussi d’un Golden Globe. La vieillesse est un naufrage, certes, mais à Hollywood l’orchestre jouera jusqu’au bout.


21 janvier 2010