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Critiques

Dans la jungle – sur L’HÉROÏQUE LANDE de Klotz et Perceval

par Olivier Godin

À l’occasion de la dernière diffusion de L’HÉROÏQUE LANDE – LA FRONTIÈRE BRÛLE, de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, aujourd’hui au Cinéma Moderne, nous republions ce texte d’Olivier Godin sur le film, paru en décembre 2017 dans notre n°185.

Faire carrière dans la liberté. Enfant de la jungle de Calais. Pour s’engager dans la vie par la fuite. Quelques chansons révèlent les indices d’une lutte. Les policiers ont des chiens. D’autres, répondant de la loi des hommes, ont posé des grillages et du métal pour redéfinir de nouvelles frontières. D’un autre côté, il y a la mer dont personne ne s’occupe. Est-ce que les réfugiés se doutent même que ces obstacles posent des ornières sur le Rêve afin de leur rendre encore plus précieux et alléchant ? Soupçonnent-ils la beauté de leur engagement, de leur solidarité et de leur création ? La naissance d’une nation écriront astucieusement Klotz et Perceval. De tous ces horizons, vous voyez les réfugiés aux commandes d’un bal inusité, d’une effervescence dont la fragilité des signes permet l’invention. Dans ce film magnifique du duo Klotz/Perceval, la parole est donnée aux réfugiés. Vous soupçonnerez que c’en est peut-être même une trouvaille. Des gens qui se font une très haute idée du cinéma sont allés vers eux pour les entendre. Souvenez-vous de Fuocoammare qui préférait ne nous les présenter qu’en victimes. Entassées, muettes, mortes, inactives. Le phénomène gruge du temps d’antenne, en laisse dans l’indifférence, en émeut d’autres. Tout bien pesé, ça perturbe le quotidien de gens tout à fait corrects. Les réfugiés. Que faire avec ça ? Le cinéphile se le demandait justement et animé par la crédulité notait même dans son calepin ces questionnements. Que dois-je comprendre de ces images ? De cette souffrance ? De ces morts anonymes ? Suffit-il d’être ému par les images de Fuocoammare nous montrant des cadavres pour se déclarer sensible à la cause des réfugiés ? De se satisfaire d’être avec les gentils, rassemblé autour du meilleur des drapeaux, dans le bon côté des droits de l’homme ? Comme si le cinéma se devait de trancher, de jouer encore dans les plaies de l’histoire pour finalement passer outre son sujet ou ne s’y intéresser que pour le nourrir, lui, le cinéphile, avec son crayon et son calepin, qui n’en demandait certainement pas tant. Comment faire des énigmes humanitaires un enjeu scénarisé ? Pire, comment répondre en faisant tout basculer vers l’enfance et l’innocence ? Et pourquoi ne pas faire un film avant tout pour les véritables acteurs de la tragédie ? Avec tout ça dans le rétroviseur, le génie d’Héroïque Lande aura été de se placer justement au cœur du drame pour en rencontrer les acteurs et par sa forme épique, de nous les révéler en héros. Les réfugiés ne sont plus une masse anonyme qui cherche à prendre d’assaut la Forteresse. Ils sont des hommes et des femmes, d’une grande beauté, d’une sensibilité indéniable, qui luttent, qui réfléchissent, qui chantent, qui se questionnent, qui échouent et qui triomphent. L’Héroïque Lande raconte des destins qui tirent leur force dans la durée. Vous la sentez dans la reconnaissance et l’intimité qui se tissent par l’écoute. La caméra invente un territoire intime où deux sensibilités se répondent et s’épousent, composant d’une écriture solidaire une épopée qui s’en partage les risques et la beauté. D’un côté les cinéastes, de l’autre les acteurs. L’espoir, c’est une petite béquille. Une mallette pleine de vêtements. Un possible coup de téléphone. Un virement bancaire. Un chien distrait. Un policier clément. Jamais, vous n’aurez l’impression que les auteurs se regardent filmer, qu’ils succombent au piège de la sensation et du flirt médiatique, que leur posture de cinéastes trahis les lieux et plus important encore, les hommes et les femmes qu’ils rencontrent. Toujours, avec ce regard à hauteur d’homme que vous sentez complice, humain, un regard – comment le dire autrement ? – à l’écoute, vous naviguez dans ce monde inventé, ladite Jungle, au rythme d’une énergie menacée, d’une urgence qui se gaspille – les images évoquant tout ce matériel brûlé ou abandonné sont si nombreuses – et qui se résout à une douceur qui est peut-être malavisée, mais quand même, qui sera celle d’un désir honnête, un désir qui se déploie comme une plage (avec son cortège allégorique) où le chagrin devient une danse, si belle, endossant le naturel utopique de ces fortunes humaines qui se dépensent d’un élan doré par l’essence de la détermination. N’abandonne pas Dawitt, tu auras ta chance, lui répète Almaz qui a traversé de l’autre côté, dans une Angleterre peu accueillante, généreuse en rien, sinon en nuages lourds et en averses froides.

 


1 juillet 2019