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Critiques

Dante 01

Marc Caro

par Helen Faradji

Le premier film en solo de Marc Caro, ancien et éminent membre de l’hydre à deux têtes Caro-Jeunet, ça éveillait la curiosité. Forcément. Parce qu’on peut bien louer la fraîcheur et l’inventivité bon chic parisien d’Amélie Poulain, elles n’arrivaient qu’au genou de la créativité intrigante et vaguement morbide de Délicatessen ou de La cité des enfants perdus. Parce que, il faut bien l’avouer, sans Caro, les univers de Jeunet (Un long dimanche de fiançailles, Micmacs à tire-larigot) semblent depuis avoir perdu de leur croquant.

Un premier projet conçu et réalisé seul par l’ancien bédéiste, amateur de chaos et de sombres névroses, de délires inquiétants et de fantaisies nocturnes, donc. Et de science-fiction, en plus, comme un contrepoids au Alien Resurrection concocté par son ancien complice. Un centre de détention psychiatrique démoniaque, pris dans l’orbite infernale de la planète Dante (dont on nous explique bien qu’elle est… un enfer), et dans lequel les prisonniers-lie de l’humanité servent de cobayes à d’étranges expérimentations scientifiques. On en salivait.

On avait tort. À voir ce Dante 01, on réalise que si Caro manque à Jeunet, l’inverse est tout aussi vrai. Le plasticien et le conteur, le styliste et le narrateur : comme le yin et le yang, les deux étaient inséparables. Caro s’était pourtant adjoint l’aide au scénario de l’auteur Pierre Bordage pour démêler les fils de son abracadabrante aventure spatiale en forme de huis clos labyrinthique. Rien n’y fait. Entre réutilisations pêle-mêle de mythes et symbolisme de secondaire 3 (de Perséphone à Jésus, en passant par St-Georges terrassant le dragon), melting-pot de grandes références cinéma utilisées à la va-comme-je-te-pousse (du premier plan Star Waresque, au décor-prison d’Alien en passant par la voix-off glaçante de Lord of the Rings ou les manipulations génétiques de Bienvenue à Gattaca), dialogues illustratifs et navrants, finale messianique à couper le souffle de bêtise et tambouille philosophico-mystico-lénifiante tournant comme une mouche autour des mêmes sempiternels thèmes (la déshumanisation, la technologie, la main-mise des puissants anonymes sur le petit monde), rien qui ne pousse à classer ce Dante 01 dans la catégorie des nanars sidéraux et sidérants. Comme Jan Kounen et son Blueberry, on ne peut décemment pas prendre tout cela au sérieux.

Pourtant, reste dans cette série Z psychédélique de compétition quelque chose de séduisant. Quelque chose comme la confection sincère et aboutie d’un univers. Quelque chose comme une précision dans la mise en scène qui vient donner à ce grand n’importe quoi des allures de trip sensoriel et sonore. Quelque chose comme un héritage de l’expressionnisme, dans ces contre-plongées dramatiques, ces cadrages déséquilibrés, ce clair-obscur constant et dense, ces sons travaillés en échos jusqu’à leur donner une quasi-matérialité, ces corps et ces gueules d’acteur tout en matières et en rugosité qu’un Cronenberg ne détesterait probablement pas (même Lambert Wilson laisse tomber la panoplie de gendre idéal pour venir habiter un corps noueux et musculeux qu’on ne lui connaissait pas). Un tout qui vient alors soutenir avec force une impression anxiogène de menace et d’étouffement constants. Un cauchemar spatial, en somme, mais qu’on ne peut complètement apprécier totalement réveillé.


8 avril 2010