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Critiques

Dark Horse

Todd Solondz

par Helen Faradji

Comment l’expliquer ? Il n’est pourtant pas si lointain le temps où Todd Solondz faisait figure de sauveur de la jeune comédie américaine, propulsant ses spectateurs dans des abîmes de méchanceté et de malaise dont le puritanisme et la bien-pensance les avaient tant protégés jusque là. Pas si lointain, – 1995 pour être exact – le temps où Welcome to the Dollhouse avait laissé espérer la naissance d’un pendant profondément américain (avec tout ce que cela peut impliquer d’habitude formelle et narrative à dézinguer) à Lars Von Trier. Pas si lointain le temps où Happiness faisait figure de merveilleux et insoutenable accident industriel sur la route sucrée du divertissement.

Aujourd’hui, pourtant, c’est sans détour par la case salles que Dark Horse, son nouveau film, arrive jusqu’à nous. Pire, tout Blu-Ray qu’il soit, le DVD semble revenu aux temps archaïques de la VHS, offrant seulement le film, sans sous-titres, et un chapitrage, en prime d’un mix sonore absolument désastreux. Ce ne sont pas des conditions pour découvrir un film de Todd Solondz, d’accord, mais ce sont les seules. Il faudra donc tristement s’en accommoder.

Dark Horse, donc. Comme ce personnage d’Abe, trentenaire grassouillet vivant encore chez papa-maman (Christopher Walken et Mia Farrow – contrairement aux distributeurs, les acteurs, eux, savent encore reconnaître le talent corrosif de la bête Solondz), roulant en Hummer jaune comme le dernier des beaufs et cachant son mal-être sous une agressivité particulièrement retorse. Comme cette Miranda, trentenaire elle aussi, mais blafarde et dépressive, le corps menu enfoui sous d’immense gilets de laine, les yeux fuyants. Comme dans toute bonne sitcom, ces deux-là se rencontreront, s’aimeront, ou presque, pour mieux faire passer la pilule d’un monde trop laid pour être habitable.

La misanthropie évidente du cinéaste qui semble jouir de détester l’humanité entière, les dialogues d’une cruauté sans nom (ce cinglant « grow up, no one needs you » ou ce définitif « what is the truth ? We are all horrible people »), les scènes qui grincent constamment sous le vernis rose bonbon d’une forme lisse et presque bling, les défauts physiques des personnages sur-exploités comme marques d’une ironie-bazooka… les allures de Dark Horse sont typiquement solondziennes, aucun doute à avoir.

Mais c’est davantage le Solondz de Storytelling que l’on retrouve, celui plus intéressé par l’observation et la destruction satirique des nouvelles formes du récit américain (la sitcom, donc, mais plus globalement toutes les séries télés ainsi que le nouvel univers de la comédie yankee dominée par le conservatisme de Judd Apatow), passant à la moulinette de son humour sordide et hilarant – drôle de mélange – deux figures phares de ce monde en papier mâché : le geek, plus accro aux figurines qu’aux êtres humains et la desperate housewive, biberonnée à l’alcool ou aux pilules. Tous deux dépouillés de toute amabilité, de tout capital sympathie pour mieux placer le spectateur face à ses propres contradictions, à sa propre incapacité à séparer le bon grain de l’ivraie et à résister aux manipulations scénaristiques et émotionnelles dont le monde de l’image 2.0 le gave comme une oie (blanche).

S’il est bien loin d’être un film-phare, de nombreuses répétitions, des surprises maladroites et un dernier tiers artificiel et plombé par son envie de trop en faire freinant ses ambitions, reste que Dark Horse renvoie dos à dos l’industrie du divertissement et son spectateur, les accusant avec la même férocité d’une paresse absolue. L’aigreur et l’audace sont entières, le cinéaste nous crachant ouvertement son venin à la figure en mordant allégrement la main qui le nourrit. Ce n’est évidemment pas agréable. Ce n’est évidemment pas non plus une raison pour le balayer sous le tapis comme cette sortie bâclée en dvd le fait.

La bande-annonce de Dark Horse


24 octobre 2012