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Critiques

DAVID CONTRE GOLIATH

David B. Ricard

par Alexandre Ruffier

Trois fantômes possèdent le corps et l’esprit de David B. Ricard. Trois courts métrages commencés à la fin de ses études qu’il a abandonnés sur un banc de montage. Trois projets qui l’ont, en partie, poussé à quitter Montréal et à prendre de la distance avec certain·e·s ami·e·s. Éprouvant un fort sentiment de culpabilité face à ces images immobilisées sur des disques durs, il cherche le pardon par la réalisation d’un documentaire introspectif. Ce dispositif contextuel lui donne l’occasion de s’excuser et de se justifier auprès de ses ancien·ne·s collaborateur·rice·s à l’aide de multiples entretiens. Entreprise intrigante et originale, mais qui une fois matérialisée sous la forme d’un long métrage se perd, par manque d’autocritique, dans une démarche prophétique centrée sur la construction narrative de la persona de son auteur.

Une effervescence se dégage indéniablement du film de David B. Ricard. Matières filmiques, sonores, fictionnelles et documentaires s’y croisent et s’entrechoquent. Le réalisateur multiplie les procédés de mise en scène hétéroclites en juxtaposant des dispositifs classiques du cinéma documentaire – le montage d’archive, la voix off et l’entrevue – à deux autres propositions innovantes et originales : une expérimentation visuelle et musicale, utilisant comme matière première les images des courts métrages maudits, et l’adaptation théâtrale en muet noir et blanc du récit biblique de David contre Goliath. Ces deux procédés rythment le film tout en proposant chacun à leur manière une ouverture sur des espaces esthétiques et métaphoriques plus vastes. Lors des séquences d’improvisation musicale, le réalisateur se réapproprie et conjure le pouvoir des images abîmées par le temps, l’anxiété et les regrets, les transformant en une nouvelle substance hybride et fantasmagorique. Se frotte sur ces images une musique métallique et électronique, dont l’âpreté fait écho au mal-être provoqué par ces projets avortés. L’adaptation théâtrale de David contre Goliath fait quant à elle office de compte rendu métaphorique de l’évolution émotionnelle et psychologique de David B. Ricard. Dans ces séquences, à l’esthétique carton-pâte très réussie, il incarne les deux rôles pour mettre en scène ses luttes intestines. Ces scènes ajoutent des respirations au film tout en ouvrant potentiellement à l’interprétation grâce à eur transposition dans un récit fondateur de la culture occidentale.

Le pari d’inscrire une démarche psychanalytique dans une proposition esthétique débute bien. Malgré une introduction heurtée, le premier contact avec David contre Goliath est rassurant. Il ne semble pas, comme on aurait pu le craindre, uniquement pétri par un besoin psychanalytique, il est également travaillé par des considérations d’ordre cinématographique. Malheureusement cette première impression ne dure pas longtemps. Le projet se nécrose petit à petit, l’effervescence se dissout. Les procédés esthétiques sont recyclés sans acquérir une puissance nouvelle et finissent par servir uniquement l’impératif de progression narrative que s’impose le réalisateur. Ce qu’on anticipait comme une ébullition est finalement plus proche d’un imbroglio de matière qu’on essaye d’orienter, difficilement, à l’aide de ficelles épaisses. Ainsi, en plus de suivre une ligne chronologique, le récit se trouve circonscrit par 12 chapitres aux noms évocateurs. S’ajoutent à cela les scènes musicales et l’adaptation biblique assurant que nous ne puissions rien manquer du propos, un brin pachydermique, que veut délivrer l’auteur sur ses doutes en tant qu’artiste. À force de vouloir contrôler son message le cinéaste empêche tout élan de se créer et cannibalise la vitalité de ses procédés de mise en scène au profit de son récit identitaire.

image noir et blanc visage acteur dans pièce antique

Car cette construction solidement ficelée ne semble pas tant une « erreur » qu’une volonté de la part du réalisateur de construire une évolution claire de lui-même, considéré comme véritable « personnage principal » de son histoire. L’objectif est limpide : sa révélation en tant que réalisateur de documentaire. Une forme artistique qui lui était, semble-t-il, destinée puisqu’il éprouve des difficultés à mettre en scène les scénarios des autres, tandis qu’il aime une construction établie au fil du temps et des besoins. Malheureusement cette progression programmatique contredit son idéalisme quant à la souplesse de la démarche documentaire. En assujettissant toutes ses tentatives esthétiques à une trame trop dirigiste, David contre Goliath ne s’extrait jamais du processus scénaristique. Et pour cause, son but est manifestement celui du récit de vie, c’est-à-dire la rationalisation et la romantisation a posteriori de faits réels pour créer une histoire allant d’un point A à un point B. Une proposition qui, en bout de course, se rapproche plus de l’autobiographie romancée que du documentaire.

Si cette démarche ouvertement réflexive s’accompagne d’une dose attendue d’autocritique, cette dernière ne porte toutefois que rarement, possiblement jamais, sur les procédés de mise en scène documentaire utilisés. Malgré la présence passagère d’un micro porté à la main dans le champ, David B. Ricard ne se pose pas, à l’écran du moins, la question du pouvoir qu’il exerce sur ses images, son montage et ses intervenant·e·s. Le film n’interroge notamment pas les rapports de force inhérents au dispositif de l’entrevue filmée, tout comme il ne remet pas en cause le fait d’utiliser les propos d’autres personnes au profit de la construction d’une image de soi-même. Il est curieux que ce sujet ne soit pas plus profondément abordé, d’autant plus dans une démarche de réconciliation prenant source dans d’anciennes relations interpersonnelles.

Le dernier film de David B. Ricard s’avère ainsi avant tout une œuvre thérapeutique pour son réalisateur. Il nous propose une œuvre personnelle certes riche en propositions esthétiques, mais qui, par son obsession du contrôle et son manque d’autocritique quant à sa construction formelle, est trop souvent empêchée d’être autre chose qu’un véhicule pour son auteur.


7 juin 2023