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Critiques

Deux de la vague

Emmanuel Laurent

par Juliette Ruer

Sur l’écran vibrent les artistes d’une décennie prodigieuse qui veulent démonter le cinéma de papa, se bousculant tous deux pour être aux premières loges d’une nouvelle vague. Truffaut et Godard. Le moment est fort; voilà l’instant où, en France, le 7ème Art croise vraiment la jeunesse. Oui, le cinéma a déjà été l’art des jeunes.

Dans ce documentaire sur la relation d’amitié, puis d’inimitié, entre Jean-Luc Godard et François Truffaut – avec Jean Pierre Léaud en balle de ping-pong entre les deux, on veut encore remonter le temps pour se souvenir de cette époque inimaginable où le cinéma avait de l’importance. On allait voir un film, un homme de culture siégeait au ministère du même nom, des intellectuels réussissaient à arrêter le plus grand festival de cinéma au monde pour des questions de morale; et en manifestant assez vigoureusement, on pouvait faire en sorte que le directeur de la cinémathèque française soit rétabli dans ses fonctions. Et tout cela passait aux actualités.

Le film commence là où l’histoire est la plus belle, quand Godard entame sa carrière avec À bout de souffle et quand Truffaut débute la sienne avec Les 400 coups. Après ce sera une errance aimable au pays des jeunes rebelles, filmée dans le ton des clips de l’émission-culte Cinéma Cinéma. Narration monocorde, érudite et non dénuée d’humour sur des images mille fois vues, où l’on se laissse bercer par la voix de Delphine Seyrig et la gouaille de Léaud. Ces réalisateurs étaient intellectuels et avaient du génie, les Cahiers du cinéma étaient une bible et le cinéma un art à défendre. Godard injurie Truffaut pour La nuit américaine. La réponse de Truffaut compte vingt pages. À l’enterrement de ce dernier en 1984, Godard ne viendra pas. Les maîtres adorés se nommaient Renoir, Rossellini, Bergman, Welles, Hawks et Hitchcock; les batailles d’Hernani, les manifs, les femmes, les films… Les anecdotes ont été maintes fois racontées.

Évidemment que les cinéphiles assez vieux pour avoir eu des parents qui vivaient en noir et blanc apprécient ! Le cinéphile adore qu’on lui répète toujours la même histoire, surtout s’il a encore des antennes générationnelles plongées dans cette époque ! Et comment se lasser de ce plan merveilleux, celui d’une course rapide vers la mer, puis du regard caméra, surpris et un peu flou d’un gamin ? Du diamant brut.

Or malgré cela, le rappel du passé devient lourd. C’est le poids de l’Histoire. L’image de Jean Seberg se fige, comme celle de la Falconetti de Dreyer.… Qui est Jean Seberg pour un jeune d’aujourd’hui ? Même pour un jeune cinéphile ? Un élégant reflet du passé, dont on aime la coupe de cheveux. À bout de souffle est un classique. Le regarder aujourd’hui fait plaisir, mais ne soulève pas de pavés…

Si Deux de la vague est un hommage de plus, prenons-le comme tel, c’est un plaisir nostalgique. Si c’est un travail d’historien, rien à dire. Prenons les faits et laissons les prendre la poussière. Mais si c’est pour démontrer la fraîcheur et la rébellion passées en héritage dans le cinéma français, il faudra repasser. Les deux ultra cinéphiles que sont le réalisateur Emmanuel Laurent et le scénariste et dialoguiste Antoine de Baecque  (ex-rédacteur en chef des Cahiers) ont accouché de l’inverse : ils engluent les mordus de ciné dans une culture datée et ne réussissent qu’à rappeler que cet art a été une force motrice qui n’est plus. La présence molle d’Isild Le Besco, dont on connaît pourtant l’amour et la connaissance du cinéma, ne fait pas de vague. Elle tourne les pages d’un magazine ou erre au Luxembourg. Ennui.


9 septembre 2010