Diego Star
Frédérick Pelletier
par François Jardon-Gomez
Traoré est deuxième ingénieur sur un cargo, le Diego Star; Fanny, mère monoparentale, est cantinière sur le chantier de la Davie, où le bateau a été remorqué suite à un problème mécanique. Tous deux sont pris dans un système qui les dépasse et peinent à joindre les deux bouts avec des emplois instables, obligés de se plier aux aléas du métier pour survivre. Diego Star, c’est d’abord l’histoire d’une relation improbable et forcée puisque les marins sont logés chez des habitants pendant que le cargo est pris au chantier.
Le film de Frédérick Pelletier repose grandement sur la relation entre ces deux personnages dont les traits de caractère se dévoilent petit à petit. Issaka Sawadogo et Chloé Bourgeois (auparavant vue dans Tout est parfait) déploient ici une chimie nécessaire à l’assise de ce récit qui dépeint également la difficulté de rencontrer l’étranger. Le réalisateur évite l’attendue histoire d’amour entre deux solitudes qui se rencontrent pour plutôt alimenter un récit sur l’importance de l’entraide et de la solidarité (opposant les quelques moments où la vie chez Fanny se stabilise à la dégradation progressive de la situation professionnelle de Traoré). Le film s’ouvre sur le visage de ce dernier et se termine sur son absence pour laisser béante la brèche ouverte par le passage du marin dans la vie de la jeune femme.
Si le marin court à sa perte, c’est parce que ses collègues se désolidarisent de lui pour soutenir, auprès des autorités canadiennes chargées d’inspecter le cargo, la version de la compagnie qui leur permet de recevoir leur paie et conserver leur emploi. Le réalisateur prend le parti des opprimés du système économique dont ils dépendent, mais évite avec justesse de magnifier ses personnages, les parant au contraire de nuances qui expliquent leurs actions (sans les excuser pour autant). Traoré agit noblement et s’élève contre des employeurs véreux et corrompus, mais également par excès de fierté, refuse d’être accusé injustement pour ce qu’il estime être une erreur mécanique; Fanny, elle, a subi dans le passé des blessures émotives qui expliquent ses actions, mais son silence se fait au bout du compte acheter par la compagnie, assurant que l’histoire de Traoré tombera dans l’oubli.
Le choix de ne pas utiliser de musique – pas même durant le générique – participe de cette lourdeur ambiante que crée Pelletier avec de nombreuses scènes qui illustrent ce monde où l’âpreté du quotidien empêche toute possibilité d’échappatoire. L’utilisation de la caméra à l’épaule et d’une lumière naturelle ancre le film dans la veine d’un réalisme social qui n’est pas sans rappeler celui des frères Dardenne ou de Ken Loach, mais également du documentaire, école dans laquelle le réalisateur a fait ses classes. Pelletier faisait d’ailleurs du mode de vie des marins et travailleurs de chantiers navals la prémisse d’un court documentaire réalisé en 2005, L’hiver longtemps, dans lequel il filmait le quotidien d’un couple de retraités devant s’habituer à vivre ensemble après avoir été séparés huit mois par année alors que le mari était en mer
Malgré la lourdeur de la réalité, certains plans émergent du film pour proposer des pauses dans la narration qui évitent à Diego Star de verser dans le misérabilisme et le pathos larmoyant, comme cette scène où le déneigement d’une rue devient un spectacle sons et lumières qui relève presque de l’expérience initiatique. En résulte alors une émotion brute, jamais forcée par le récit ou des excès de style. Pelletier développe également un angle intéressant quant à la représentation de l’hiver (thématique récurrente s’il en est dans le cinéma québécois des dernières années) en adoptant le regard de Traoré pour souligner de l’extérieur la difficulté de s’y adapter, mais surtout son étrangeté radicale. Aux plans larges de paysages hivernaux et à ceux présentant la ville vue à travers les yeux d’un des travailleurs s’ajoute la parole de celui-ci qui demande pourquoi une situation pareille leur arrive toujours « dans des pays de merde », au climat inhospitalier qui menace d’écraser ceux qui ne peuvent s’y adapter.
Pelletier filme le tout sobrement et, surtout, s’appuie sur un scénario solide (écrit avec la collaboration de Simon Lavoie) qui réussit à proposer un discours politique que le spectateur devine au lieu de se le faire imposer. Le constat final est sans aucun doute pessimiste, mais il est de ces films dont la matière première est ancrée dans une réalité qui laisse peu de place à l’espoir et qu’on ne peut ignorer. Diego Star est de ceux-là.
La bande-annonce de Diego Star
5 Décembre 2013