Django Unchained
Quentin Tarantino
par Helen Faradji
L’ouverture de Kill Bill et son clin d’oeil gros comme le bras au Bon, la brute et le truand… Les citations plus ou moins directes de Rio Bravo ou The Wild Bunch dans Pulp Fiction… On pourrait continuer des heures ainsi à exhumer ce qui, dans le cinéma de Tarantino, a fait résonner les cloches du western tant le cinéaste semble avoir fait du genre un de ses réservoirs préférés. Enfin, après des années à l’aborder l’air de ne pas y toucher, il se donnait le droit de l’embrasser, à pleine bouche, dans Django Unchained, dont le titre même contenait déjà toutes les promesses d’hommage et de révérence à la version italienne et spaghetti de la bête. Enfin, après des années à tourner autour du pot, il s’y frottait sans précaution. Inutile de dire que le résultat était attendu comme le loup blanc. Inutile de dire que ces fameuses attentes, celle de cette rencontre anticipée, celles créées aussi par le cinéaste dont tout le travail aura justement été jusqu’ici de s’amuser autant que de respecter les genres, l’ont probablement desservi.
Sur la question de l’hommage, Django est, il faut le dire, inattaquable. Caméo jouissif de Franco Nero, premier interprète de Django pour Sergio Corbucci en 1965, shooting final en hommage sanguignolent au fondateur Wild Bunch, chemise, foulard et chapeau de Bonanza sur le dos musclé et plus taiseux qu’à l’habitude, dieu merci, de Jamie Foxx, musique d’Enio Morricone… le décor est planté. Mieux, c’est avec finesse que Tarantino utilise encore son histoire d’esclave libéré et s’associant à un chasseur de primes pour retrouver sa belle pour mieux réactiver trois des caractéristiques fondamentales du spaghetti : l’ultra-violence (encore mise en valeur par la touche tarantinienne faite de dilatation extrême du temps), l’ambiguïté morale (Django, sorte de Shaft en cache-poussière, est comme ses bourreaux capable du pire) et le regard critique sur ce qui constitue l’identité américaine, soit l’avidité, le sens de la propriété et la sauvagerie.
Les babines se retroussaient déjà de plaisir.
Mais, puisque mais il y a, tout sincère et senti qu’il soit, l’hommage manque de tenue. La faute à une mise en scène certes élégante, certes portée par la photo surprenante, à la fois nette et artificielle, de Robert Richardson, mais sans cette audace, cette inventivité qui fait le sel des tarantineries. La faute aussi à ce montage linéaire et sans souffle autre que celui d’un déroulement narratif traditionnel (Sally Menke manque). La faute enfin à cette fameuse touche Tarantino, faite essentiellement d’un rythme incroyablement maîtrisé, d’effets de style marqués et d’une musique systématiquement en contre-point, qui semble ici tourner à vide, mécanique, paresseuse même par moments, s’en remettant plus facilement à quelques blagues potaches (le Klu Klux Klan ou son caméo explosivement ridicule) plutôt que de laisser galoper son imagination. Comme si le cinéaste était à la fois trop impressionné par le genre, son genre chéri, et qu’il voulait en même temps être à tout prix être pris au sérieux. Au risque de perdre l’ingrédient principal de sa recette pourtant magique : le plaisir.
Un plaisir qui pourtant ne cesse de poindre tout de même grâce à ce qui, dans le cinéma de Tarantino, semble inoxydable, inattaquable, même par ce respect nouveau et malvenu des styles et des codes : sa direction d’acteurs. De Foxx, capable d’un étonnant mélange de douceur, de peur, de rudesse et de brutalité à DiCaprio, aux dents aussi pourries que l’âme jusqu’à la merveille Waltz dont l’exubérance le maintient constamment sur une ligne fragile séparant l’intensité hypnotique du cabotinage, tous sont servis par un cinéaste croyant encore, avec une force de conviction inébranlable, que ce qui fait battre le cœur des meilleures histoires, des meilleurs films, c’est encore l’humain. À ce cinéaste, aux galipettes tantôt enthousiasmantes, tantôt épuisantes mais toujours incarnées, dans tous les sens du terme, on est tentés de pardonner beaucoup de choses. Même ses crises de déférence.
La bande-annonce de Django Unchained
24 juin 2013