Doubt
John Patrick Shanley
par Helen Faradji
Certains s’y cassent la gueule. D’autres savent y puiser une substantifique moelle. Dans tous les cas, adapter une pièce de théâtre au cinéma relève de la gageure placée sous le signe de cette question angoissante : comment ne pas diluer le vivant dans le 35 mm? Pour John Patrick Shanley, auteur donc, mais aussi réalisateur de Doubt (la pièce avait notamment gagné le Pulitzer en 2005, excusez du peu) la solution sera la plus vieille du monde : ses acteurs. Mais pas n’importe lesquels. Des purs-sangs. Des formule 1 capables en un haussement de sourcils d’imprimer sur pellicule toute l’intensité du monde, en une moue de la bouche tout le dédain imaginable. Meryl Streep et Philip Seymour Hoffman : comment faire mieux?
Dans leurs voix, par leurs corps, tout prend une force inédite, une densité supplémentaire. Pour un film sur le doute, Shanley ne pouvait rêver meilleurs vaisseaux. Et la magie opère. Il faut voir la Streep (15e nomination aux oscars pour ce rôle, ce n’est pas rien) s’approprier cette sur Beauvier, directrice de l’école catholique St Nicholas dans le Bronx en 1964. Il faut la voir faire de l’austérité et de la fermeté un art de vivre. Il faut voir Hoffman aussi jouer au père Flynn, tentant de convertir l’école à une ambiance plus libertaire, plus joyeuse. Et il faut deviner pourquoi la sur doute du père. Les indices sont là, autour du jeune élève David Miller, mais rien n’est donné.
Tout est en finesse, dans Doubt. En subtilité, en résonances psychologiques, en nuances du sentiment. Les dialogues comme autant de perles. L’intériorité qui s’impose dans chaque plan. L’ambiguïté de chaque seconde (cette scène du sermon sur les rumeurs!). Forcément, on accroche. Comme lorsqu’on donne au meilleur violoniste du monde la plus belle sonate du monde, les talents concordent. D’autant qu’en filigrane, on lit avec délice une critique virulente du système protectionniste établi par l’Église.
Doubt, c’est sa force autant que son défaut, a cette puissance du mot qu’aucune bizarrerie de mise en scène (pourquoi ces plans de biais?) ne parvient totalement à éclipser. Roger Deakins à la photo l’a compris aussi. Riches et raffinées, ses lumières mettent en valeur. Elles accompagnent, elles n’empèsent pas. Et d’un coup, comme dans un duel de western, plus rien n’existe autour et nous voilà suspendus aux lignes piquantes parsemant les confrontations de ces deux acteurs de génie. Au final, entre ces deux-là, il n’y aura aucun vainqueur. Sauf peut-être le cinéma.
9 avril 2009