Dracula: Pages from a Virgin’s Diary
Guy Maddin
par Pierre Barrette
L’histoire et la mythologie entourant le personnage de Dracula ont tellement été visitées par le cinéma que toute tentative pour en renouveler et possiblement en actualiser l’imagerie semble vouée à l’échec. Personnellement, les relectures « littéraires » d’Ann Rice me laissent plutôt froid, et je ne peux pas dire que le travail de Coppola m’ait davantage convaincu, même s’il faut reconnaître que le réalisateur d’Apocalypse Now a réussi là où beaucoup d’autres avaient échoué, c’est-à-dire redonner une fraîcheur inédite au récit en le resituant dans son contexte orignal. Le parti pris de Guy Maddin, dans Dracula : Pages from a Virgin’s Diary est tout autre : « le plus obscur des cinéastes célèbres », comme on le désigne parfois, n’y change rien de sa manière habituelle, qui est comme on le sait de « poursuivre » la tradition du cinéma muet, notamment en travaillant un peu comme si les 75 dernières années de cinéma parlant constituaient une sorte de parenthèse, qu’il escamote volontiers dans la plupart de ses uvres. Ainsi, et aussi loin qu’il puisse être d’un revival à la mode du jour sur le modèle du Roméo et Juliette de Luhrmann, le Dracula de Maddin restitue plutôt l’esprit et l’atmosphère propres à l’expressionnisme allemand, ceux d’un Lang ou d’un Murnau, entourant les personnages d’un halo mystérieux et romantique qui doit plus aux subtils jeux d’ombres et de lumières d’un autre temps qu’à la technologie de pointe, convoquée ici de manière un peu paradoxale pour effacer toute trace de modernité dans l’image.
S’inspirant d’un ballet du chorégraphe Mark Godden que celui-ci a imaginé à partir du célèbre roman de l’écrivain irlandais Bram Stocker, Maddin a conçu son film avec les danseurs du Royal Winnipeg Ballet, dont on peut apprécier tout le talent et en particulier la polyvalence puisque le réalisateur exige de ces derniers beaucoup plus que la maîtrise du pas de deux : ce sont de véritables acteurs qui, au-delà de la pantomime et du jeu souvent stéréotypés du cinéma muet, arrivent à transmettre avec grâce une certaine idée de la beauté et de l’érotisme, à laquelle sied particulièrement bien le lyrisme de la première symphonie de Gustav Mahler. On se trouve ainsi devant une uvre qui ne fait pas seulement que mélanger danse, cinéma et musique, mais fait en sorte que chaque discipline devienne le miroir de l’autre, et compose ensemble un pastiche qui ne tombe jamais dans le second degré facile puisque l’émotion ce qui n’empêche pas la drôlerie, les clins d’il, la connivence habituelle de Maddin avec le spectateur d’opérer à plein prime toujours sur la caricature. En ce sens, le choix d’offrir le premier rôle au danseur chinois Zhang Wei-Qiang n’est pas que pure provocation, puisqu’il ouvre sur une lecture politique de l’oeuvre : Dracula y apparaît en effet comme l’Autre par excellence, celui dont il faut se débarrasser, une victime davantage qu’un agresseur dans un monde épris de pureté raciale. Ainsi, et comme toujours, Maddin nous amène ailleurs que là où l’on croyait aller, et multiplie non seulement les tours de force esthétiques mais également les couches de signification qu’il arrive à leur fait porter.
19 mars 2009