Écartée
Lawrence Côté-Collins
par Ariel Esteban Cayer
Après plusieurs dizaines de courts métrages, la réalisatrice DIY Lawrence Côté-Collins signe le documenteur Écartée : un premier film cru, dévoilant un univers excentrique et personnel, à situer quelque part entre la comédie, l’érotisme, le kitsch et ce qu’on pourrait qualifier de trash du terroir, dans la lignée directe d’un Robert Morin, qui passe ici le flambeau en tant que conseiller à la scénarisation.
On y suit Anick (Marjolaine Beauchamp), une travailleuse sociale devenue documentariste. Elle s’immisce dans le quotidien de Scott (Ronald Cyr), un ex-détenu en réinsertion sociale, vivant sa nouvelle liberté avec une très jeune copine nommée Jessie (Whitney Lafleur) dans une petite maison sur le bord de l’autoroute 101 près de Rouyn-Noranda. Homme de peu de mots, Scott appréhende d’être interrogé ; Jessie, pour sa part, est tout à fait à l’aise devant la caméra. Mieux encore, elle devient vite une sorte de femme fatale devant l’objectif ; tranquillement, leur relation perturbe le tournage et le documentaire décousu qu’Anick peine visiblement à terminer – une série de rushes, tout au plus – devient le témoignage d’une obsession grandissante…
Malgré une progression narrative un tantinet prévisible – où le huis-clos, la jalousie, les cachoteries et la caméra de plus en plus intrusive d’Anick ne font évidemment pas bon ménage – Écartée se démarque par sa spontanéité et l’attention démesurée que Côté-Collins porte aux détails qui définissent son univers. Couleurs pastel qui colorent l’ensemble, obsession de Scott pour les casse-têtes 3D ou de Jessie pour les statues quétaines de dauphins : Côté-Collins concrétise sa vision par l’accumulation de ces textures et de ces détails. Ajoutons à cela, bien évidemment, la facture visuelle de la vidéo elle-même qui permet en alternance des images aqueuses, dures et inusitées, conférant à la vision d’Anick une qualité quasi surréaliste.
À l’arrière-plan, on remarque également plusieurs émissions qui passent à la télévision et quelques chansons fictives sur la bande son – autant de détails qu’il serait facile d’ignorer, mais qui s’avèrent hilarants dans leur médiocrité calculée. Ces facsimilés convaincants d’une culture des plus populaires font partie intégrante du décor. Ils ponctuent le quotidien désespérément normal de Jessie, Scott et Anick, en plus de nous donner des indices sur les états d’âme des personnages. Par exemple, le couplet d’un hit bidon (« Croque le fruit de l’amour interdit / Qu’est-ce que t’en dis? ») résonne ainsi à la radio, menant à une des scènes les plus spectaculaires du film : Jessie entend « sa toune » et s’empresse de la chanter à tue-tête en dansant lascivement pour Anick. Whitney Lafleur (la révélation du film) livre ici une performance des plus exubérante et énergique, et son personnage communique sans détour, que l’attirance d’Anick pour son sujet est loin d’être unilatérale…
C’est par ce genre de de glissement qu’Écartée prend tout son sens. Le faux documentaire devient alors, mine de rien, un film sur le désir féminin, tel qu’affirmé par la caméra. Autrement dit, l’attrait du film de Côté-Collins réside dans sa subversion franche et directe d’une perspective voyeuriste qui est habituellement le fait des hommes dans l’Histoire du cinéma (que l’on pense aux films d’Hitchcock, De Palma et bien d’autres). Plus qu’un film sur un triangle amoureux, Écartée est un film sur une femme qui en regarde une autre; l’expression fièrement décomplexée d’un désir lesbien, transmis au public à la première personne, et ce, peu importe son orientation. Il s’agit d’un geste puissant, encore trop rare sur nos écrans, que déploie ici avec candeur et inventivité une cinéaste à suivre de près.
La bande annonce de Écartée
5 octobre 2016