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Critiques

En attendant avril

Olivier Godin

par Gérard Grugeau

Tortueux et insaisissables, les films d’Olivier Godin sont comme des chemins de forêt qui débouchent sur des clairières pour mieux nous perdre. L’univers du conte avec ses échappées oniriques en constitue souvent la trame. En attendant Avril emprunte de tels sentiers de traverse en puisant ici à même les chansons et fables médiévales recueillies par le conteur Michel Faubert. Conteur qui ouvre d’ailleurs le film avec son imaginaire chanté et dont les interventions structurent la comédie policière jubilatoire qui nous est proposée. Partant d’une matière sombre (le viol d’une jeune fille par des chevaliers) qui évoque La source de Bergman, explicitement citée dans le film, la complainte du temps passé va donc voyager et servir de matrice originelle pour explorer au présent la mélancolie des amours contemporaines. Après tout, avril est le mois dédié à Vénus. Mais vu par le prisme ludique du cinéma artisanal d’Olivier Godin qui tourne vite et avec des budgets dérisoires, l’horizon d’attente souvent contrarié des amants se pare ici des plus beaux atours de la vie pour transcender et dépasser les affres de la déception.

La galerie de personnages réjouit d’emblée. Qu’on en juge plutôt. Haffigan, une policière gardienne de l’ordre moral dont les frustrations atrabilaires se traduisent par un déversement langagier scatologique, se lance aux trousses du séduisant Mithridate (un double du Lothaire Bluteau de Jésus de Montréal). Affublé d’un bras de gorille, l’homme serait en possession de l’os qui chante, un mystérieux objet maléfique qui trouvera finalement refuge à la Banque du brouillard permanent, là où la belle Éléonore attend l’amour. Donatienne, une coiffeuse africaine sans imagination qui ne coiffe que les femmes noires, se lie d’amitié avec la policière colérique et tombe sous le charme d’Alexandre, l’ami de Mithridate qui ne se lave plus depuis qu’il a le cœur brisé. Quant à Emily, une ex anarchiste lesbienne, elle déclare sans succès sa flamme à celle sur qui elle a jeté son dévolu. Ajoutez à cette ronde des désirs inassouvis un oiseau qui parle et qui est le messager des amours… Vous arrivez à suivre ? Non ? Peu importe ! De ces chassés-croisés sans cesse déceptifs, Olivier Godin tire une comédie à tiroirs pleine de fantaisie sur laquelle plane aussi bien l’ombre de Shakespeare que les multiples enchâssements des récits orientaux ou de la littérature courtoise. Bref, de quoi titiller à l’envi le plaisir du spectateur.

Après une amorce malicieuse, ce qui séduit très vite à l’écran, c’est le rapport presqu’enfantin que Godin entretient avec le cinéma. Des fermetures à l’iris exécutées en toute simplicité avec la main renouent avec la poésie du cinéma des premiers temps. Ce brusque passage au noir ouvre le plus souvent sur des plans qui, par contraste, affichent une grande pureté tant l’irruption soudaine de la lumière vient caresser l’œil. Des tomates dans un bol de porcelaine se transforment ainsi en une émouvante nature morte qui célèbre la couleur. Ou un ciel bleu, pommelé et éclatant, vient relancer le cycle de l’illusion amoureuse, en incitant la fiction à refleurir sur un terrain de plus en plus absurde. Et la narration, quant à elle, de se démultiplier en autant de mises en abyme burlesques, la coiffeuse se substituant bientôt au conteur pour prendre en charge le film et renvoyer à un discours réflexif sur le cinéma.

Chez Olivier Godin, la parole est souveraine, elle tente tant bien que mal de délivrer de l’angoisse. Sur un mode comique, la fixation anale de la policière n’est pas sans rappeler la tradition scatologique des troubadours dans la littérature médiévale. Sous l’emprise de la bile noire qui l’habite, Haffigan se révèle au fil du film le personnage le plus attachant. Se jouant des normes langagières de façon subversive, la mise en scène de la parole devient dès lors le reflet poétique de cette mélancolie qu’il faut tenir à distance et qui menace constamment d’engloutir le film. On l’aura compris, l’amour sous toutes ses formes demeure le grand sujet d’En attendant Avril. Amour du cinéma au premier chef qui se double ici d’une quête incessante du regard de l’autre et d’une réflexion aux accents métaphysiques sur la condition humaine (voir le titre proche du théâtre de Ionesco). Rendre le monde plus beau à travers son travail et son art, comme Donatienne, la coiffeuse sans prétention, tel est le grigri du cinéma d’Olivier Godin. : un os qui chante et enchante.

Québec 2018 / Ré. et scé. Olivier Godin / Ph. Renaud Després-Larose / Mont. Theodore Goodwin / Conception sonore Ana Tapia Rousiouk / Mus. Michel Faubert, Philippe Battikha / Int. Michel Faubert, Johanna Nutter, Etienne Pilon, Tatiana Zinga Botao, François Simon-Poirier, Ève Duranceau, Rose-Maïté Erkoreka, Luc Proulx, Daniel Canty, Aurélie Brochu-Deschênes, Florence Blain Mbaye, Leslie Mavangui, Philippe Battikha / 78 minutes / La Distributrice de films


10 février 2020