Espion(s)
Nicolas Saada
par Helen Faradji
Nicolas Saada. Le nom sera familier à quiconque a déjà feuilleté les Cahiers du Cinéma entre 1987 et 2000. Comme ses illustres prédécesseurs (de Chabrol à Assayas, de Godard à Hansen-Love),
c’est maintenant au tour de ce critique de se lancer dans le grand bain. Pas bégueule, c’est au film d’espionnage qu’il a décidé de se frotter pour cette entrée en matière. Une gageure qu’il réussit
plus qu’honorablement, comme un artisan appliqué et consciencieux.
Au cinéma, le terme artisan peut parfois être mal compris. Le tâcheron n’est pas loin. Mais pas dans le cas de Saada. Car dans Espion(s) où il filme les aventures d’un bagagiste enrôlé par les
services secrets français pour une mission d’espionnage à Londres, c’est bien en artisan, au sens noble du terme, qu’il peaufine chaque détail de son récit, qu’il s’attarde là où d’autres
survoleraient, qu’il soigne avec l’amour visible à l’écran du travail bien fait. Rien de heurté, rien de spectaculaire, rien de gratuit : Espion(s) récite la leçon (hitchcockienne en diable) avec talent,
efficacité et juste assez de personnalité pour marquer.
De l’ouverture de son film, parvenant à rendre un recoin d’aéroport en lieu hyper-anxiogène à Londres dont il filme le brouillard comme un élément supplémentaire à l’atmosphère mystérieuse
de son film en passant par la trahison et la manipulation qu’il transforme presque en acteurs, Saada affirme en effet la mise en scène comme une arme essentielle de son rapport au genre. Cela a
l’air de la moindre des choses, mais dans le cinéma français contemporain, c’est devenu tellement rare qu’on doit le remarquer. Travail sur les espaces par des travellings élégants et des plongées
fluides, création d’un véritable rythme, par de dynamiques ellipses et de jolies dilatations, jeux sensuels sur les ombres et lumières de ces décors confinés, scènes d’amour filmées avec fébrilité
témoignant d’une sorte d’évidence de la passion, personnages complexes et bien construits : malgré une utilisation de la musique trop académique, chaque geste de cinéma que pose Saada dans
Espion(s), non content de respecter le cahier des charges en créant une véritable tension, semble en outre chargé de toute une mémoire cinéphile qu’il revisite autant qu’il la fait renaître. Comme
si derrière la sobriété, derrière la rigueur bouillonnait un réservoir d’images aimées, chéries dont l’on ne peut parfois contenir les débordements.
Sur sa trame solidement ancrée sur un fond de menaces et de paranoïa terroriste, Espion(s) parvient encore à laisser éclore avec délicatesse une dimension sensible et humaine dans son récit,
préservant une jolie romance de la dureté du monde qu’il dépeint. Fantasme de film classique autant qu’interprétation contemporaine d’une partition connue, Espion(s) n’a peut-être pas la
grandiloquence ni les tics d’auteurs des autres concurrents au titre du genre. Mais il les surclasse sans avoir vraiment besoin de batailler.
27 août 2009