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Critiques

Exit Through the Gift Shop

Banksy

par Helen Faradji

« It’s the story of how one man set out to film the un-filmable. And failed« . Voilà comment le mystérieux, mais légendaire artiste de rue Banksy (note au Musée d’art contemporain de Montréal…) décrit son premier film Exit Through the Gift Shop. Sens du slogan, humour noir, punch et concision : une toute petite phrase pour retrouver tout l’esprit de ses oeuvres subversives et poétiques (une ombre portée de petite fille s’envolant grâce à un bouquet de ballons sur le Mur de Jérusalem, c’est lui. Une poupée gonflable déguisée en prisonnier de Guantanamo et plantée au milieu d’une attraction dans le parc Walt Disney? Lui encore). Une toute petite phrase pour entretenir l’envie d’en savoir plus (Banksy n’a jamais dévoilé ni son visage ni sa voix). Une toute petite phrase pour créer le buzz comme on dit dans le monde de l’art.

Mais tant d’autres petites phrases auraient pu décrire ce film étrange aux apparences simplissimes. Comme «c’est l’histoire d’un artiste qui se laisse vampiriser par un émule warholien». Ou bien «c’est l’histoire d’un happening artistique au goût amer». Ou encore «c’est l’histoire de la folie qui semble s’être emparée du monde de l’art». Quel que soit l’angle choisi pour le regarder, Exit Through the Gift Shop n’en finit plus d’ouvrir des portes.

C’est que le film est beaucoup de choses à la fois. Un documentaire, d’abord, sur l’éclosion du mouvement street-art et sur l’appropriation illégale et nocturne par de jeunes génies armés de stickers et de bombes du mobilier urbain pour enfin lui faire dire quelque chose. Un film porté par une énergie formelle un peu brouillonne, mais pleine de cet élan créatif, de cette urgence à dire, à tout prix. Un film enfin qui finit par se retourner sur lui-même, d’abord « oeuvre » (accumulation de rushs en tout cas) du grassouillet français installé à Los Angeles Thierry Guetta approchant ce monde et ses héros (Space Invader, Geoffrey French, Shepard Fairey, le Bostonien dont le portrait bicolore d’Obama est encore dans les mémoires, Banksy) avant que Banksy, éberlué par le ratage de Guetta, ne récupère le projet pour le faire subrepticement dévier vers une oeuvre affolante de niveaux de signification.

Sous la première couche documentaire, on trouve alors trois films, trois essais même, en un. D’abord, une illustration presque terre-à-terre des deux mythes les plus puissants du monde artistique qui s’incarnent presque littéralement grâce au street-art: celui de l’artiste anonyme d’abord refusant de prêter son visage aux jeux du cirque pour laisser son art s’exprimer à sa place (une nécessité dans le cas du street-art, étant donné son caractère illégal), mais aussi celui de l’enregistrement — et notamment filmique — comme petite victoire de l’éternité sur la mort, comme preuve et validation en tout cas d’existence (d’autant plus important que le street-art, de par sa nature même, est un art éphémère). Tel un vulgarisateur de génie, Banksy illustre par le menu ces deux mythes, rendant chacun aussi immédiatement compréhensible que riche de doubles sens

Vient ensuite une seconde réflexion sur les notions mêmes d’artistes et d’art. Suffit-il de se dire artiste pour l’être? Un artiste doit-il concevoir et exécuter son idée pour en être l’auteur ou le processus peut-il être séparé? Le gigantisme a-t-il remplacé la signification? La validation par le marché de l’art, capable d’estimer une oeuvre d’un inconnu à des milliers de dollars, tant que la hype y est, suffit-il à faire exister artistiquement une œuvre ou doit-elle encore se donner la peine de signifier quelque chose, de commenter son monde? La vraie liberté est-elle dans l’illégalité? Autant de questions palpitantes, et fondamentales, qu’ose poser le film, l’air de ne pas y toucher, en s’intéressant de près au délire final de Guetta, une méga-exposition vendue avec talent, composée à la va-comme-je-te-pousse qui ne cesse de flouter la frontière entre street-artist et publicitaire (le seul aboutissement possible d’un art qui fonctionne également par souci de communication, marketing et images-chocs?).

Reste enfin un troisième film, peut-être le plus intriguant, le plus amusant aussi de tous. Exit Through the Gift Shop est en effet d’abord et avant tout un film fabuleux sur un faussaire de génie. Thierry Guetta est-il réellement l’objet du film? A-t-il vraiment floué ses anciens amis au point de leur laisser une demi-tonne d’amertume en guise de souvenirs? Quel rôle joue exactement Banksy dans toute cette affaire? Ne serait-il pas justement celui qui nous mène par le bout du nez depuis le début? Peut-être. Probablement. Vertige de la mise en abîme. Complicité du spectateur qui se laisse prendre au piège avec plaisir (par chez nous, Sophie Deraspe nous avait déjà fait le coup avec le ludique Rechercher Victor Pellerin). Fable ou document, vérité ou mensonge: reste qu’Exit Through the Gift Shop est certainement un des documentaires artistiques les plus passionnants qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps.


6 mai 2010