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Critiques

Fabrique-moi un conte

Myriam Bouchard

par Philippe Gajan

Sur le papier, Fabrique-moi un conte, la nouvelle websérie interactive de Radio-Canada paraissait à la fois ambitieuse et alléchante. Qu’on en juge : aux commandes Myriam Bouchard et Jimmy Lee (ceux-là même des Chroniques d’une mère indigne, un des gros hits du web québécois de l’an dernier), lui producteur et elle créditée comme idéatrice du projet, mais également comme réalisatrice de l’un des épisodes, un concept plutôt attachant, un pool de huit réalisateurs vedettes (Podz, Trogi, Rivard, …), un autre de huit comédiens vedettes (Catherine Trudeau, Patrick Hivon, Julie Perreault, …) et enfin une liste d’impérissables, treize de ces contes de notre enfance (Barbe-bleue, Blanche-neige, Pinocchio…) comme réservoir collectif de variations infinies.

C’était dès lors au public de déterminer le meilleur agencement : ce fut, pour démarrer il y a maintenant sept semaines, Podz, Catherine Trudeau et Barbe bleue (dans un bar, de préciser le carton générique). Pourquoi pas… Pourquoi pas ? Parce que finalement la promesse d’une défloraison à la Psychanalyse des contes de fées n’aura jamais lieu. Parce que trop sage, trop lisse, trop carte de visite. Parce que finalement, il ne s’est rien passé. Entendons-nous, l’aventure du web est celle d’un médium à naître avec ses bons et ses mauvais coups, peut-être et pourquoi pas surtout dans l’urgence, avec une stratégie « essai-erreur » assumée. Ici, pas d’essai, pas d’erreur, sinon celui d’avoir prononcé le mot interactivité. Car enfin de quoi parle-t-on ? D’avoir caressé le futur spectateur dans le sens du poil ? De lui avoir fait fait miroiter sa prise de contrôle ? Le contrôle de quoi ? D’avoir fait jouer Catherine Trudeau chez Podz ? Ou de l’avoir fait jouer Barbe bleue ? La belle affaire, il est cinéaste, elle est comédienne, et Barbe bleue, comme tous les contes de fée, est adaptable à l’infini. Quel attrape-nigaud au bout du compte, car au final on a eu droit à sept, bientôt huit courts métrages diffusés sur le web ou dans un réseau social près de chez vous.

De la télé finalement, sans moyens qui plus est. Un peu de cinéma aussi – il faut voir la caméra de Podz glisser sur sa Barbe bleue de Catherine Trudeau, Mais très peu de web, et certainement pas de l’interactivité, ni même une série d’ailleurs. Des univers dissemblables, parfois quelconques (Myriam Bouchard revisitant Blanche neige sous l’angle de l’identité sexuelle), quelquefois grotesques (le film de zombie de Rivard est assez mal foutu), rarement loufoques, au mieux attachants (Maxim Gaudette dans Le vilain petit canard de Trogi). Sept, bientôt huit (il ne reste pour lundi prochain que la version de Louise Archambault de Jacques et le haricot magique) propositions pas si honnêtes que cela dans la mesure où l’unique but poursuivi par Fabrique-moi un conte semble finalement la chasse au clic, cette version web de l’audimat, chasse qui passe manifestement par l’obligation de créer le sentiment d’appartenance chez un spectateur qu’on sait de plus en plus volage. D’où la quête du Saint-Graal, l’interactivité, ce mot passe-partout gage de succès ou pour le moins de ces allégeances ou de ces fidélités qu’on accorde qu’à ce en quoi on se reconnaît. Mais en lieu et place de cette interaction, de cette participation du spectateur devenu utilisateur, il n’y a ici qu’une stratégie de marketing : « faites-moi de la publicité » semble nous susurrer les différents éléments du site ! Alertez votre réseau ! Cliquez pour justifier ce soufflé même pas dégonflé, car pour cela il aurait fallu qu’il gonfle d’abord !

Et s’il y a bien une tentative d’animation tout autour du court métrage lui-même, un peu dans le style des bonus DVD (dans ce cas-ci des « inédits de tournage »), c’est, on en conviendra, bien peu et cela semble plus avoir une fonction de remplissage que justement de plus-value. Le web a bon dos actuellement, l’interactivité qu’on nous sert à toutes les sauces peut-être plus encore. Pourtant, il s’y fait des choses extraordinaires comme Prison Valley, l’extraordinaire webdocumentaire d’ARTE, sur l’industrie de la prison aux États-Unis (les auteurs furent qualifiés de dignes descendants de Depardon à l’ère cybernétique, quand même!), dont la richesse du matériel disponible était accessible à la manière d’une quête. Bref, il est important, au moment où plus que jamais la télé traditionnelle marque le pas au profit des nouvelles plateformes de rester vigilant et de ne pas se faire passer n’importe quoi. Pour un temps encore, on est en droit d’exiger de l’audace, du neuf, de l’original, tout ce que la télé a le plus souvent laissé tomber.


21 avril 2011