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Critiques

Félix et Meira

Maxime Giroux

par François Jardon-Gomez

Félix et Meira est un défi pour la critique. Tous les éléments y sont pour une réussite : un sujet universel (l’amour), un point de vue original (l’entrée dans une communauté juive hassidique), des acteurs solides, un travail sur les textures sonores, la couleur et le rythme maîtrisés à défaut d’être singuliers – on retrouve, comme dans les autres films de Giroux, les teintes de gris et couleurs froides, la longueur des plans, l’enrobage sonore mélancolique qui vient appuyer l’état intérieur des personnages. Sans oublier que le film, attendu, a été auréolé de plusieurs prix, dont ceux du meilleur film canadien au TIFF et de la Louve d’Or au Festival du Nouveau Cinéma de 2014. Mais, il y a un « mais ». Quelque chose comme une déception, voire une lassitude : tout ce beau et bon travail reste au service d’une histoire qui, somme toute, semble un peu télégraphiée.

Les personnages sont construits en creux, animés par un sentiment de manque. Félix (Martin Dubreuil) vient de perdre son père, mort des suites de la maladie d’Alzheimer; Meira (Hadas Yaron) se sent de plus en plus prisonnière dans son mariage avec Shulem en même temps qu’elle remet en question sa foi. La moitié du film de Giroux est poignante et témoigne d’une véritable ouverture à l’autre, tant dans la fiction que dans le processus de production du film. Le travail de recherche de Giroux a été, on le sait, exhaustif : certains de ses acteurs sont des juifs hassidiques qui ont quitté leur communauté, d’autres représentent parfaitement la dualité présente chez certaines personnes de culture juive, prises entre les traditions et un désir d’ouverture (c’est le cas, par exemple, de Josh Dolgin – mieux connu sous son nom de musicien, Socalled – qui joue le rôle du meilleur ami de Shulem). L’incursion dans la vie de Meira est sensible, touchante, délicate et méthodique. On sent très bien que Giroux veut prendre le temps d’exposer les coutumes d’une communauté étrangère, mais également en brosser un portrait complexe et nuancé qui va au-delà des généralités connues.

Le cinéaste s’intéresse au non-dit et à l’évidement des événements chocs par l’étude des conséquences et des effets. Il y a chez Giroux un travail de l’ellipse assumé, marqué par un travail de montage assez brut des transitions qui isole plusieurs scènes du récit comme des petits moments quasi-autonomes. On reconnaît là le style du réalisateur qui, déjà avec Demain et Jo pour Jonathan, développait une poétique de l’après, où les conséquences sont plus importantes que les causes. Giroux poursuit également son exploration d’une veine psychologique : il fait du développement de ses personnages le sel de son récit, ce qui fonctionne à merveille en ce qui concerne Meira et particulièrement Shulem, personnage plus complexe et nuancé qu’à première vue.

Mais puisque Giroux prend son temps et qu’il laisse ses personnages dans une lente valse-hésitation – surtout Meira, puisque Félix est celui qui fait les premiers pas dans la relation, il cruise ouvertement la jeune femme qui se montre peu  à peu réceptive aux avances et à la possibilité de cet exotisme qui lui est proposé –, il est difficile de croire au coup de foudre. Plutôt, ces deux solitudes s’apprivoisent l’une et l’autre sans que l’on comprenne véritablement ce qui peut attirer Meira vers Félix : il est gentil et mystérieux, certes, mais aussi sans grand intérêt. C’est que Félix est un des éléments qui tire le film vers le bas : bum de bonne famille, un peu bohème, il doit de toute évidence être intrigant. Giroux ne donne cependant pas assez de prises, ou de raisons, pour que le spectateur adhère au personnage. L’esquisse de son mal-être est trop rapide : la première fois qu’il apparaît à l’écran, on établit clairement qu’il n’a pas vu son père depuis presque 10 ans (sous-entendu : leur relation a toujours été difficile). Comme le réalisateur travaille le non-dit et l’après (plutôt que le choc lui-même), la peine ressentie par Félix suite au court échange avec son père et la mort de ce dernier n’apparaît pas convaincante. Plus encore, le thème de la relation problématique père-fils prend au fil du récit une forme assez éculée qui contraste avec l’approche originale du film lorsqu’il est question d’entrer dans le monde de Meira.

Giroux atteint pourtant certains sommets dans la représentation de l’amour naissant, il crée une scénographie de l’attente et de l’appréhension entre ces deux amants (dont l’union n’est jamais consommée à l’écran) qui réussit à charmer, voire bouleverser – la séquence autour des retrouvailles à New York est à ce titre particulièrement réussie. Dans ces petits moments de grâce, le non-dit et la retenue sont entièrement au service d’une relation où tout est encore possible. Sauf que la fin du film montre bien que la relation amoureuse ne dépasse pas l’avertissement énoncé par la sœur de Félix dans le premier tiers du film (leur mère avait une aventure parce qu’elle avait besoin d’exotisme, pas par amour pour son amant), venant alors contredire, voire annuler tout ce qui précède (incluant la scène de confrontation entre Félix et Shulem) – comme si Giroux avait lui-même voulu croire au happy end durant tout le film avant de le refuser brutalement dans les dernières minutes. En somme, Félix et Meira se prend à son propre piège en voulant (trop) soigneusement montrer les nuances et les subtilités qui se cachent derrière les clichés connus à propos d’un monde étranger. De fait, le récit qui repose sur une réalité familière (celle de Félix) ne surprend pas, comme si le fait de connaître ce monde dispensait Giroux de lui donner autant de corps et de nuances.

 

La bande-annonce de Félix et Meira


29 janvier 2015