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Critiques

FIRE OF LOVE

Sara Dosa

par Laurence Olivier

Fire of Love de Sara Dosa est présenté comme une histoire d’amour. Mais davantage que la relation entre deux volcanologues d’origine alsacienne, Katia et Maurice Krafft, c’est leur amour brulant pour leur objet d’étude que le documentaire retrace, des origines de cette passion jusqu’à la mort inévitable des deux aventuriers dans une éruption. Si le film peut nous apprendre quelque chose sur l’amour, c’est que ce sentiment n’est jamais aussi vif que lorsque deux personnes se donnent entièrement à une quête commune, exaltante et dangereuse.

Tout l’intérêt du documentaire repose sur les archives formidables qui le constituent : les photos de Katia, les films de Maurice, leurs notes de recherche, leurs journaux de bord, de la fin des années 1960 jusqu’à 1991. Les deux scientifiques téméraires ont passé des années à filmer leurs explorations au cœur des volcans actifs, à la fois pour leurs propres recherches – les clichés permettant de fixer les phénomènes afin de les étudier – et pour la constitution de films informatifs que Maurice montait lui-même. Tous deux avaient l’œil : leurs images sont saisissantes. Ils avaient également le sens de la mise en scène, composant les plans, répétant les prises, créant les situations de toute pièce, avec, toujours, la menace réelle du volcan en arrière-plan.

Le travail de montage rythmé, souvent comique (Erin Casper et Jocelyne Chaput), couplé à une narration mignonne de Miranda July et à la musique de Nicolas Godin (du duo Air) font de la première moitié du film une aventure drolatique aux couleurs et à l’esthétique au croisement entre Moonrise Kingdom et The Life Aquatic de Wes Anderson. On y raconte par exemple avec humour trois versions de la première rencontre du couple, les archives ne permettant pas ici de fixer la vérité. Suivant cette plongée dans les couleurs riches des images 16 mm, on finit forcément par souhaiter se joindre aux explorations de l’Équipe Vulcain, planter sa tente dans le cratère, jouer aux abords des coulées de lave ou même pagayer en canot pneumatique avec Maurice sur un lac d’acide sulfurique, sous le regard excédé de Katia.

Ces facéties révèlent cependant une passion dans ce qu’elle peut avoir de plus dangereux : excessive, dévorante, ultimement fatale, comme dans une tragédie antique. Fire of Love permet d’observer deux scientifiques qui, entièrement consumés par leur objet de recherche, s’en approchent au plus près, dans une tension irréconciliable entre le désir de comprendre et le risque d’y perdre la vie. Katia et Maurice Krafft ont certes richement contribué à rendre accessibles les connaissances sur les volcans, notamment par leurs ouvrages de vulgarisation. Au cours du film, il devient toutefois évident que les risques les plus sérieux pris par les scientifiques ne sont pas ceux qui servent au mieux leurs recherches (le lac d’acide, par exemple, détruisant de toute façon le matériel qui aurait permis de rapporter des échantillons) ; ces risques, Katia et Maurice les prennent pour leur propre plaisir, pour l’excitation qu’ils éprouvent à se fondre dans l’objet de leur amour. C’est cette relation, beaucoup que celle entre les deux amants, qui fascine et étonne. Et le film d’ailleurs nous en apprend moins sur les volcans – quelques notions de géologie, la tectonique des plaques – que sur l’obsession qu’ils nourrissent chez les deux protagonistes.

Si l’on en croit le documentaire, un virage aurait été pris par Katia et Maurice après la coulée de boue d’origine volcanique qui a été la cause de plus de 23 000 décès en 1985 aux abords du Nevado del Ruiz, en Colombie. Alors que des équipes de scientifiques avaient tenté en vain d’alerter les autorités locales afin d’évacuer les populations menacées par l’éruption à venir, Katia et Maurice ont vu là un échec de la volcanologie et se sont alors concentrés sur la réduction des risques volcaniques, dirigeant leurs études plus spécifiquement sur les volcans meurtriers. On croit la sincérité des deux chercheurs lorsqu’on les entend dire qu’ils veulent comprendre les volcans pour éviter d’autres décès, mais il semble y avoir dans ce geste narratif du film une tentative de rachat de la témérité parfois gratuite des amants, comme si elle devait tout à coup revêtir un caractère altruiste pour être acceptable.

Il n’en demeure pas moins que l’amour triomphe – enfin, l’amour et le volcan du mont Unzen au Japon, le duo de chercheurs trouvant la mort en 1991, côte à côte, lors de son éruption. Fire of Love n’est pas une célébration du couple comme unité, mais bien celle de la triade formée par deux personnes passionnées et le dangereux objet de leur flamme. Cette représentation de la passion qui consume est suffisamment exaltante pour qu’on pardonne au film sa narration à l’eau de rose et son inclusion de séquences d’animation dont il aurait pu se passer – manie de certains documentaires contemporains – vu la richesse de ses archives. Si on apprend quelque chose sur l’amour dans ce film, c’est qu’il se révèle dans l’action, dans le compagnonnage de toute une vie aux abords d’une bête imprévisible, mystérieuse, plus grande que soi.


8 septembre 2022