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Critiques

Foxfire – Confessions d’un gang de filles

Laurent Cantet

par Céline Gobert

Le septième film de Laurent Cantet (Ressources humaines, L’emploi du temps), adapté d’un roman de Joyce Carol Oates, met en images le rêve rebelle d’une bande d’adolescentes des années 50 : échapper à toute forme d’oppression masculine. Quotidiennement, les jeunes filles sont rabaissées, humiliées, terrorisées, violées par les figures masculines du récit : les garçons du coin, le professeur de mathématiques, l’oncle Walt. Seul un avenir de secrétaire, de sténographe ou de femme au foyer s’ouvre à elles. Afin de punir les hommes et de se battre contre cette société patriarcale, elles vont créer le groupe Foxfire.

« Chaque fois que tu pleures, il gagne », lance la leader Legs (Raven Adamson) à l’une des futures membres vengeresses du groupe. Pas de place pour le silence et l’immobilisme lorsque l’on débute une révolution. La défense du « je » bascule rapidement vers un combat pour le « nous » féminin, « nos soeurs », disent-elles. Via l’étude de la dynamique de groupe (dynamique qui intéressait déjà Cantet dans Entre les murs, palme d’or 2008), Foxfire évoque les idéaux et l’ardeur d’une jeunesse qui refuse de se soumettre. Au début, les filles infligent de petites corrections à leurs oppresseurs, prennent pour la première fois la parole, diffusent leur idéologie. Plus tard, elles créent une communauté indépendante dans une vieille ferme : leur mouvement se radicalise.

« $$ = shit = death », écriront-elles sur une vitrine qui présente des mannequins féminins vêtus de belles parures. Lorsqu’elles comprennent que l’oppression féminine est un moyen pour les hommes de garder dans leurs poches toutes les richesses, elles décident de se servir de leurs charmes pour les voler. Dans une intéressante seconde partie, où vont naître les conflits au sein de leur communauté, le réalisateur élève son sujet vers de plus complexes questionnements : quels liens faut-il faire entre patriarcat et capitalisme ? Quelles sont les limites morales et éthiques d’une révolution? Comment conjuguer intérêt commun et bien-être individuel ? Quand bascule-t-on de l’engagement vers la terreur ?

Sur la terre du combat « féministe » (même si le mot, faute de concept établi à l’époque, n’est jamais prononcé dans le film), fleurissent d’autres inégalités : les riches versus les pauvres, ou encore la question de l’oppression des Noirs, qui frappera de plein fouet la petite communauté. Les oppressions sont comme un puits sans fond, la lutte est infinie. C’est ce que nous signifiait la voix off dès l’ouverture, lorsque, posée sur les lieux de l’action désormais déserts et à l’abandon, s’annonçait déjà l’échec de l’entreprise. Comme l’illustre Cantet, de façon bien poétique lors de la scène finale : les idéaux, à l’instar de la jeunesse (dont il fait clairement l’éloge) sont comme une flamme qui s’éteint sans prévenir.

Parallèlement à cette réflexion socio-politique autour de la figure de l’oppressé et de la rébellion, le film accouche d’une forme et d’une photographie impeccables. La reconstitution rétro, avec soundtrack 50’s et voitures et vêtements d’époque, se dévoile sous un filtre ombragé d’une beauté noire – une couleur charbon que l’on retrouve dans les notes des canadiens Timber Timbre qui signent la musique. Cantet nourrit son propos sur la domination masculine d’images symboliques : le serpent comme symbole à la fois phallique et biblique (oppression de la femme jusqu’aux fondements religieux de la société), ou encore, la mort en rêve du vieillard communiste qui annonce autant la chute du groupe Foxfire que le passage des filles à l’âge adulte; âge présenté comme celui de la nostalgie (au mieux) et de la résignation (au pire).

Cependant, Foxfire trouve ses limites dans sa retenue. Comme à l’accoutumée, le cinéma de Cantet se fait discret et les drames se cachent derrières les portes (Legs en maison de correction, le viol – invisible à l’écran- de l’une des jeunes filles). Ici, hélas, cela ne sied que peu aux thématiques évoquées : l’énergie adolescente et la flamme révolutionnaire. En conséquence, même si Cantet maintient sa caméra à bonne distance, dans une alternance bien sentie de plans en mouvements et de plans plus académiques, on retrouve dans le film une rigueur, voire une certaine sécheresse, propres à son univers. Résultat : Foxfire peine à incarner véritablement les émotions qu’il met en exergue, malgré l’excellence du casting d’actrices non professionnelles (à l’exception de Tamara Hope). Le spectateur, passif, reste ainsi la plupart du temps à distance de l’action et de tous les sentiments de cette jeunesse féminine en révolte, qu’ils soient indignation, colère, chagrin ou peur.

 

La bande-annonce de Foxfire


15 mai 2014