Frozen River
Courtney Hunt
par Helen Faradji
Chaque année, les oscars ont au moins ceci de bon qu’ils permettent de braquer les projecteurs, l’espace d’un instant, sur un film fragile, un petit film indépendant qui tient avec fierté son rôle d’outsider. Cette année, la place est occupée par Frozen River, premier long de Courtney Hunt (adapté de son propre court-métrage), nommé pour les statuettes du meilleur scénario et de la meilleure actrice, et déjà adoubé à Sundance, San Sebastian et Marrakech. Comme un négatif de Little Miss Sunshine, une sorte de Tough Madam Winter si l’on veut, Frozen River se perd dans l’immensité des plaines enneigées de l’état de New York pour dresser le portrait d’une Amérique (des) oubliée(s).
Abandonnée par un mari criblé de dettes, maman de deux garçons, Ray peine à joindre les deux bouts. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Lila, une jeune Mohawk passeuse d’immigrés clandestins entre le Canada et les États-Unis et que l’argent facile l’attire comme la lumière un papillon.
Comme son scénario, Frozen River a le don du minimalisme. Observation alerte de paysages glacés, cadrages nerveux et intimistes, le film regarde les femmes tomber avec un sens de l’épure particulièrement aiguisé. Tant mieux, car c’est cette retenue qui lui permet de rester sans cesse sur le fil du rasoir, entre brutalité du quotidien et tendresse empathique. Souvent juste, ne pêchant ni par misérabilisme ni par sensationnalisme, il parvient à mêler à son naturalisme une tendresse rugueuse assez saisissante.
Du moins, dans sa première partie en forme de chronique sociale traversée de scènes précises et fulgurantes (notamment un face à face entre mère et fils) et littéralement habitée par une actrice extraordinaire, Melissa Leo. Sorte de Gloria qu’aurait filmée les Dardenne, elle offre son visage grave et anguleux à une héroïne désenchantée à travers laquelle peut alors se lire l’immobilisme d’une Amérique pauvre et marginale, engluée dans sa misère. À ce moment, le regard de la réalisatrice est fort, droit, digne. Admirable. Tellement, en fait, qu’on aurait pu s’en contenter. Malheureusement, Courtney Hunt succombe aux sirènes du récit préfabriqué en faisant prendre au sien le virage du thriller, mais dans une version anémique et sans réelle profondeur. La rédemption vient en outre se mêler de la partie, alourdissant encore ce récit grave et dur qui s’en serait parfaitement sorti tout seul. Restent néanmoins les grands yeux tristes et las d’une actrice magnifique, qu’on a déjà hâte de recroiser.
12 février 2009