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Critiques

Funkytown

Daniel Roby

par Helen Faradji

Montréal, 1976. Le Québec se réveille. Mais la nuit, d’autres chats, beaucoup moins gris, s’amusent à tailler la réputation de la métropole à l’international. Les filles sont à peine couvertes de robes lamées. Costumes en satin blanc, les garçons se prennent pour Travolta. La poudre au nez, ils font de l’insouciance leur mode de vie. Et au Starlight résonnent les cuivres, les cordes et les synthés d’une nouvelle musique qui vient d’envahir les dance-floors : le disco. Pendant que Donna Summer et Gloria Gaynor ululent, sept destins viendront s’y croiser et s’y décroiser pour y chercher leurs quinze minutes. Et le payer. Dans la vraie vie, le Starlight s’appelait le Limelight et l’on pouvait y croiser Douglas «Coco» Leopold ou Alain Montpetit, personnages sombres et légendaires de la nuit dont sont largement inspirés ceux de Bastien et de Jonathan qui mènent la danse de Funkytown.

Ancrage bien solide dans le réel dont l’on tire (presque) tous les sucs mythologiques, dialogues bilingues respectant la schizophrénie montréalaise, récit choral, reconstitution chic et choc, mais jamais toc, grandeur et décadence d’un milieu dominé par les apparences : la référence est à peine voilée. L’ombre de Boogie Nights plane entièrement sur Funkytown, nouvelle réalisation de Daniel Roby. Par le poids du film-monstre de Paul Thomas Anderson, le réalisateur du discret et surprenant La Peau Blanche ne se laisse pourtant pas écraser et en retient avec intelligence la leçon principale : l’ampleur. Une ambition installée dès les premières minutes de Funkytown dont la mise en scène hachée, précise, vibrante, multipliant travellings souples et cadrages élégants est adoucie pourtant, avec finesse, par une photographie mélancolique aux tons ocre. Une envergure qui tiendra d’ailleurs presque tout le fil du récit dopé par une bande-son forcément flamboyante, malgré un dernier tiers beaucoup plus relâché, n’évitant ni redites, ni maladresses (dont une scène de rédemption sous les yeux d’un enfant particulièrement gnangnan).

Une œoeuvre qui voit grand, donc, sans jamais s’en excuser (et pourquoi le ferait-il?). Cela paraît simple, mais c’est tout de même suffisamment rare dans le cinéma québécois que l’on dit « grand public » pour le souligner. Funkytown n’est pas un film modeste, gagne-petit, humble. Funkytown est plutôt un film qui a soif, qui s’envisage dans la durée (longue, la durée), qui a le regard fier et fiévreux, comme celui de ces danseurs d’un soir venus là se faire reluquer. Mais Funkytown n’est pas non plus un film putassier. Car c’est cette ambition qui l’aide à revisiter l’histoire sans pourtant avoir besoin d’ériger en héros factices ceux qui la firent. Non. Dans Funkytown, aucun piédestal ne sera érigé, tout le monde souffrira, tous les papillons se brûleront les ailes aux lumières trop scintillantes. Top-model sans avenir, star de télé et de radio enflammée par sa propre gloire, producteur véreux, jeune danseur englué dans ses démons, roi de la nuit au glam défaillant… et au bout du tunnel, l’auto-destruction. Has-been ou has never been, voilà le choix, pour les chanceux. En ne cherchant pas à rendre son récit digeste, en ne cédant pas (ou peu) aux compromis habituellement imposés aux blockbusters québécois (faites-nous rêver, mais pas trop haut, pas trop fort), Roby et son scénariste Steve Gallucio parviennent à composer des personnages complexes, denses, du moins pour ceux qui auront l’avantage du premier plan (les autres étant trop sommaires pour véritablement faire sensation). Du genre, en réalité, qui révèle les comédiens comme Paul Doucet, ici sensible, attachant et juste, mais surtout Patrick Huard qui, pour la première fois, donne une réelle consistance à son rôle, en dévoilant toutes les failles et les nuances.

Alors non, parce qu’il ne va pas tout à fait au bout de sa démesure, parce qu’il ne se transforme jamais réellement en miroir mythique de la société qu’il observe, parce qu’il regarde en arrière sans éclairer aujourd’hui, parce qu’il n’en a ni le souffle épique ni l’acuité, Funkytown n’est pas de la trempe de Boogie Nights. Pas plus que de celle de Saturday Night Fever d’ailleurs. Mais il a l’audace de s’y mesurer, crânement, sans chercher à se faire pardonner cet appétit. Rien que pour ça, on lui lève nos platform shooes.


27 janvier 2011