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Critiques

Gabrielle

Louise Archambault

par Eric Fourlanty

Le film aurait pu s’intituler Ordinaire, tant la chanson de Charlebois y tient un rôle central, mais ça n’aurait pas rendu justice aux qualités hors de l’ordinaire de ce film qui, sous ses dehors humbles, tient parfois du miracle.

Gabrielle (Gabrielle Marion-Rivard) a 22 ans, elle a l’oreille absolue et elle est atteinte du syndrome de Williams, une déficience intellectuelle qui ne l’isole pas complètement du monde mais qui limite son autonomie. Elle est amoureuse, corps et âme, de Martin (Alexandre Landry), lui aussi déficient intellectuel, qui vit chez sa mère (Marie Gignac). Gabrielle vit dans un centre et fait partie d’une chorale qui prépare un spectacle avec Robert Charlebois. Lorsque son amour pour Martin s’incarne à fleur de peau et que son désir d’autonomie grandit, elle est confrontée aux limites, les siennes mais aussi celles de ceux qui l’aiment, entre autres sa sœur (Mélissa Désormeaux-Poulin), de qui elle est très proche et qui est sur le point de rejoindre son amoureux (Sébastien Ricard) en Inde.

Plus que vers les (admirables) pyrotechnies stanislavskiennes des Dustin Hoffman (Rainman), Daniel Day-Lewis (My Left Foot) ou autres Robert De Niro (Awakenings), c ’est du côté de Robert Morin (Tristesse modèle réduit), de Bonnaire (Elle s’appelait Sabine) ou même de Depardon (San Clemente) qu’il faut chercher une filiation pour ce second long-métrage de Louise Archambault où la frontière entre documentaire et fiction est habilement floutée. Le film aurait pu s’intituler Ordinaire, mais il est légitime qu’il s’intitule Gabrielle, tant celle qui y tient le rôle-titre le porte sur ses épaules. C’est elle qui lui donne sa lumière, sa force et sa vérité. Dès que le film s’en éloigne, il retombe dans des chemins plus convenus. Surtout lorsque les fils de l’intrigue principale se nouent et que celle-ci devient cousue de fil blanc lors d’une finale sur scène où la vraisemblance de la situation (la disparition des deux amoureux ne provoque aucune réaction notoire) et celle d’un personnage-clé (celui de la mère de Martin, escamoté) est complètement évacuée. Qu’importe, la cinéaste tient son cap avec une volonté de lyrisme, portée par le Lindbergh de Charlebois et les voix envoûtantes de la chorale.

Encore plus que d’y assister en spectacle, il faut avoir chanté dans une chorale pour ressentir l’émotion brute que dégagent des voix mêlées en harmonie, loin de toute analyse, de toute rationalisation. Dans ces moments magiques où la caméra est au cœur du groupe, particulièrement lors des répétitions, Gabrielle atteint un état de grâce communicatif qu’on retrouve rarement au grand écran. Et touche à la nature même du cinéma, amalgame de sons, de lumière et d’images en mouvement.

C’est peu de dire que la mise en scène est avant tout une affaire de choix et de regard et que la direction d’acteurs tient essentiellement au casting. En optant pour Gabrielle Marion-Rivard dans le rôle-titre, Louise Archambault a posé la pierre angulaire d’un film profondément touchant et juste. Ensuite, en épousant au plus près la vérité de ses protagonistes, où les gestes du quotidien croisent constamment le fer avec l’émotion brute, elle a, entre autres grâce au montage de Richard Comeau et à la lumière de Mathieu Laverdière, signé un de ces rares films qui rallient la critique et le public (Prix du public au Festival de Locarno). Avec ses imperfections et ses fulgurances lumineuses.
La bande annonce de Gabrielle


19 septembre 2013