Girls
Lena Dunham
par Helen Faradji
On se laissait en 2012 sur la déception causée par l’intronisation du nouveau petit roi de la comédie yankee, Seth MacFarlane (Ted). Mais on oubliait la vraie révélation, peut-être plus discrète, mais bien plus recommandable, qu’était l’arrivée de Lena Dunham dans le paysage audiovisuel mondial. La vraie princesse, c’est elle. Faute avouée à moitié pardonnée, il n’est jamais trop tard pour bien faire. La demoiselle, née en 1986 ( !), actrice, productrice, réalisatrice, scénariste de Girls abritée par HBO, mérite toute l’attention du monde.
Dès la première scène de la toute petite série d’à peine 10 épisodes d’une courte vingtaine de minutes chacun – l’instantanéité du mode de vie vingtenaire a tout contaminé -, la demoiselle protégée de Judd Apatow (le grand manitou s’intéressa à son cas en 2010 après qu’elle ait réalisé le petit hit indie Tiny Furnitures), le ton est donné. Hannah est paumée, quelque part dans la vingtaine, vient de se faire couper les vivres par ses parents excédés par son mode de vie bohème (la miss se rêve écrivaine – cauchemar parental) et trimballe ses kilos en trop et son visage ingrat comme une réponse-claque à tous les diktats que le monde de l’image a jugé bon d’imposer aux filles. Hannah, c’est un esprit neuf, une vivacité diabolique, un regard sur le monde qui ne s’embarrasse pas de le réinventer mais le réinterprète avec une modernité rafraîchissante et incisive.
Les filles de Sex and the City ont depuis longtemps remisé leurs stilettos, et c’est désormais en talons plats, jupes vintage et blouses à lavallières hipster que celles de Girls arpentent New York. La ville a d’ailleurs changé avec les générations. Non plus, le Village de conte de fées, mais le Brooklyn des idées, celui où tous les moins de 30 ans, twitter et instagram au bouts des ongles, ont l’intime conviction qu’ils laisseront leur marque. Et tout est bon pour ça. La moindre humiliation, la moindre éraflure à l’ego, le moindre petit caillou dans la chaussure : la légende de l’homo modernus se construit désormais par le moins, le négatif, le malaise que l’on ne prend plus la peine de maquiller. La dépréciation de soi, le recul, l’auto-ironie… et voilà comment les persona 3.0 se construisent. Évidemment, c’est cruel. Évidemment, c’est drôle. Et en bout de compte, le résultat est le même. Nombril, mon beau nombril, dis-moi qui est la plus intéressante ?
C’est d’ailleurs aussi jusque dans sa mise en scène que Girls raffine cette tendance du « moins, c’est plus ». Le scintillement des sitcoms a laissé place à un éclairage terne, entre chien et loup, refusant l’épate et le spectaculaire cheap pour privilégier une approche ultra-classique du champ-contre-champ. Rien de révolutionnaire ? Certainement pas. Mais une façon de s’inscrire dans une tradition de cinéma bien particulière, celle qu’inventait Woody Allen dans les années 70 où le contenant avait la charge de servir le contenu et non l’inverse. Celle d’un nouveau réalisme qui ne se – et ne nous – contait pas de menteries en se drapant dans le recours systématique à l’ironie méta et faisait de l’humain, dans toute sa banalité complexe et ses relations tordues aux autres, un héros de proximité, sans recours aux artifices de la caméra à l’épaule ou du plan-séquence de 2h46.
Aux côtés de ses copines (dont l’irrésistible Shoshanna, jeune vierge aux yeux encore brillants d’espoir mais qui se prendra bien vite le mur du réel sur le nez – interprétée par Zosia Mamet, fille de David), Hannah s’envisage en effet bien plus facilement comme une petite sœur moderne de Mia Farrow ou de Diane Keaton que comme celle de Sarah Jessica Parker ou, pire, de Blake Lively. Une petite sœur tatouée, crue, cash qui, sur fond de crise, de manque d’argent et de désillusions constantes, refuse de s’excuser d’être qui elle est. Même au contraire.
Girls n’est peut-être que le premier essai télé de Lena Dunham. Et la jeune fille n’a peut-être que 26 ans. Mais elle aura au moins déjà réalisé son rêve : inscrire son nom sur l’affiche. On le retiendra.
La bande-annonce de Girls
25 juin 2013