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Critiques

Godzilla : King of the Monsters

Michael Dougherty

par Alexandre Fontaine Rousseau

Les Américains n’ont jamais vraiment compris Godzilla. Roland Emmerich le comprenait si peu que son film de 1998 pigeait l’essentiel de son inspiration du côté de Jurassic Park. Gareth Edwards avait, à tout le moins, le mérite de se l’être approprié de manière un peu plus audacieuse. Son Godzilla, sorti en 2014, cultivait l’appréhension et jouait sur les attentes du spectateur. En tout et pour tout, le roi des monstres y avait droit à environ huit minutes de temps d’écran, mais sa présence se faisait ressentir partout et chacune de ses apparitions n’en était que d’autant plus spectaculaire. L’approche d’Edwards avait toutefois frustré les « fans », ces gérants d’estrade en puissance qui prolifèrent sur les réseaux sociaux pour se répéter entre eux que toute propriété intellectuelle moindrement en vue leur appartient et que quelque chose, de ce fait, leur est dû. Par moments, King of the Monsters semble avoir été conçu spécifiquement pour répondre à leurs critiques plus ou moins pertinentes de son prédécesseur. Ils n’aimaient pas que l’on nomme les monstres « mutos »? Ce sont désormais des « titans ». Ils trouvaient que ça manquait de Godzilla ? Ils ne perdent rien pour attendre.

Mais les Américains n’ont jamais vraiment compris Godzilla. King of the Monsters, pour le meilleur comme pour le pire, est le degré zéro du kaijū eiga. Sauf qu’il trahit encore cette incompréhension fondamentale du mythe Godzilla, par-delà sa volonté de nous en mettre plein la vue à coup de matchs de lutte titanesques où des gros monstres se rentrent dedans. Le film de Michael Dougherty s’arrête à cette lecture en surface du genre, déchaînant les forces colossales de King Ghidorah et de Rodan tout en libérant Mothra de son immense cocon. Il nous titille la fibre sensible en reprenant les thèmes musicaux originaux, respectivement composés par Akira Ifukube et Yuji Koseki, pour introduire Godzilla et Mothra. Il nous fait un petit clin-d’oeil en nommant King Ghidorah « Monster Zero » dans un premier temps, question que l’on comprenne qu’il a lui aussi vu Invasion of Astro-Monster de Ishiro Honda. Mais le mythe Godzilla repose sur autre chose que cet amoncellement de références. Sans le traumatisme nucléaire, Godzilla n’est rien ; et King of the Monsters, à part faire allusion à une nouvelle origine qui dédouane l’humanité de sa propre responsabilité face à la genèse du monstre, n’a rien à dire à ce sujet.

Tandis que Hideaki Anno actualisait brillamment ce mythe afin de l’ancrer dans la réalité de l’ère post-Fukushima avec Shin Godzilla, réitérant le danger que représente l’énergie nucléaire tout en réaffirmant l’idée d’une responsabilité collective face à celle-ci, le film de Dougherty se contente de nous balancer une bande d’éco-terroristes en guise de prétexte à une intrigue dans laquelle se multiplient les personnages humains sans intérêt. Pire encore, sa mise en scène n’arrive que trop rarement à humaniser ses monstres, préférant les voiler dans d’épais nuages de fumée ou les cacher derrière d’opaques murs de pluie qui nous renvoient directement au pire de l’esthétique des films de superhéros produits par Warner Brothers. Si King of the Monsters nous montre constamment ses créatures, comme pour se faire pardonner les « crimes » imaginaires de son prédécesseur, il ne sait pas vraiment comment nous les montrer. À quelques exceptions près, l’échelle des combats est assez mal représentée et le cadre arrive rarement à illustrer l’immensité de ses sujets. On pourra dire ce qu’on veut sur le réalisme relatif d’un acteur dans un costume de caoutchouc détruisant une maquette de ville en carton-pâte, mais les proportions ont le mérite d’être claires.

Malgré tout, l’amateur indulgent pourra y trouver son compte pour peu qu’il abaisse ses attentes et les ajuste en fonction du plus petit dénominateur commun. King of the Monsters est un Godzilla médiocre, mais il a le mérite d’imiter relativement fidèlement les conventions du genre auquel il souscrit. L’approche pléthorique qu’il préconise avec son foisonnement de kaijū a le mérite d’être généreuse, à défaut d’être subtile. Voici un film qui approche de manière idiote la mission idiote qu’il s’est donnée : celle de mettre en scène un maximum de gros monstres, de leur faire détruire un maximum de choses et de se poser un minimum de questions. Assumant cette raison d’être avec franchise, sans aucune autre ambition que celle d’en donner pour leur argent à ceux qui ont payé pour voir ce gros spectacle sur un gros écran, King of the Monsters prouve une fois de plus que les Américains ne comprendront jamais vraiment Godzilla… tout en nous rappelant qu’on peut certainement faire pire, en matière de divertissement, qu’un affrontement épique entre celui-ci, Mothra et King Ghidorah.


5 juin 2019