GOOD ONE
India Donaldson
par Elijah Baron
Le cinéma a commencé dès les premiers mois de 2020 à s’adapter à la nouvelle réalité pandémique ; quatre ans plus tard, l’apparition de films tels que Good One – visiblement enracinés dans cette épreuve, bien que dépourvus de ses attributs superficiels – aide à mesurer l’impact à long terme d’un retranchement historique qui aura, dans le meilleur des cas, favorisé un retour sur nous-mêmes et sur les liens complexes qui nous rattachent à nos êtres chers. En effet, India Donaldson ne cache pas que le scénario de son premier long métrage, consanguin du mumblecore new-yorkais, s’est écrit sous l’impulsion du souvenir alors qu’elle passait le confinement dans sa famille. Conçu tel un huis clos à ciel ouvert, le film est néanmoins situé dans le moment présent et évacué de tout sentiment de nostalgie par rapport à la fin de l’adolescence, ce qui confère d’autant plus d’universalité à sa représentation d’une dynamique père-fille qui mue sous nos yeux, suivant les étapes accélérées d’une prise de conscience aussi subtile que douloureuse.
Sam (Lily Collins) accepte, avec bienveillance mais sans fort enthousiasme, de passer une partie du dernier été avant ses 18 ans en nature avec son père, Chris (James LeGros), ainsi que Matt (Danny McCarthy), le vieil ami lourdaud de celui-ci ; elle reviendra transformée par ce qu’elle observe du comportement des deux hommes à son égard. La prémisse est d’une simplicité fructueuse, et il est mieux de ne pas se laisser impressionner par une bande-annonce qui laisser miroiter une promesse de suspense haletant ou de volte-face narrative, car Good One est une œuvre pleine de mesure qui, comme sa jeune protagoniste, maintient une apparence de calme et respecte le caractère privé de ses révélations. Autant Donaldson se montre experte dans l’écriture de dialogues constants et pleins de vie, autant il apparaît clair qu’ils ne constituent qu’un contrepoint, l’essentiel étant pour les personnages particulièrement compliqué à prononcer, mais aussi à entendre : la conversation la plus délicate se fait ainsi au pied d’une chute d’eau fracassante. Plusieurs de ces non-dits s’expriment sous forme de gestes symboliques, et il n’y a peut-être rien d’aussi parlant que ce regard solidaire que pose sur Sam une caissière qui s’aperçoit des agitations puériles de ses compagnons.
Chacun des personnages est sur le point de franchir une nouvelle étape vers l’inconnu – Sam se prépare à quitter le nid familial, Chris accueille un nouvel enfant, Matt est désorienté par son divorce –, mais seule l’adolescente semble capable d’aborder sa situation et celle des autres avec ouverture et lucidité, affichant les qualités que l’on attendrait des adultes du groupe. Même avant que le fossé qui la sépare de ces anciennes figures d’autorité ne se fasse insurmontable, la question de la négociation de l’espace personnel – tant au sein d’un lieu physique que d’une relation humaine – devient tout aussi centrale, se manifestant à tous les niveaux du film.
Le déséquilibre s’installe rapidement au cours d’un trajet en voiture et se conserve en grande partie par la suite : les adultes parlent, Sam écoute. Si la caméra est souvent resserrée sur le visage de Lily Collins, captant le détail de ses réactions, le champ sonore ne lui appartient pas, et c’est avec un mélange d’ironie, de perplexité, de sensibilité réelle et d’attente inassouvie qu’elle reçoit les conversations généralement inanes qui lui parviennent. L’unique plan ouvertement stylisé fait d’ailleurs appel à une lentille bifocale pour insister sur l’écart entre l’expérience des deux hommes, patientant dans l’arrière-plan, et celle de la jeune femme, changeant de tampon derrière un arbre. La présence de téléphones cellulaires participe à ce perpétuel effet de contraste, dans la mesure où ces appareils entrouvrent une fenêtre sur l’existence parallèle des personnages, une vie faite de problèmes personnels ou professionnels que Chris et Matt préfèrent oublier le temps de leurs randonnées, mais à laquelle Sam, en manque d’amitié, s’agrippe comme à une bouée de sauvetage.
L’œil de la caméra s’arrête assez peu sur l’environnement naturel des Catskills qui les entourent, sinon pour encadrer et illustrer divers ressentis, entassés en équilibre fragile à l’intérieur de Sam, tel cet amas de pierres qui ouvre le film et devient une image clé au fil de montées et de descentes dubitatives. Donaldson ne nous donne rien de particulier à apprendre sur ce territoire, mais beaucoup à déduire sur la psychologie des uns et de l’autre à partir de leurs stratégies et rituels de camping, qui pourraient sembler mystérieux à qui n’a jamais dormi en forêt. Même lorsque Good One se met à pencher vers la caricature – un groupe de campeurs voisin met un peu trop de temps à débattre de l’emplacement d’une toilette improvisée –, la précision du montage réaffirme que le cinéma est un art de la présence, de l’écoute et de l’observation. De quoi permettre des perceptions divergentes des situations qui nous sont présentées, et des discussions potentiellement révélatrices de dissonances. En outre, si cette œuvre portant sur le devenir de soi peut laisser, de prime abord, un vague sentiment d’inachevé, c’est peut-être parce qu’elle s’efforce de capturer le caractère provisoirement définitif d’une individualité émergente. Le fait que Donaldson en soit à sa première réalisation, et Collins à son premier rôle principal, n’en rend le portrait que plus viscéral.
27 septembre 2024