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Critiques

Gran Torino

Clint Eastwood

par Helen Faradji

Cela doit presque être décourageant pour les autres cinéastes. Clint Eastwood, véritable roi Midas du cinéma, pourrait filmer les fleurs en train de pousser qu’on trouverait encore cela passionnant. Aussi à l’aise dans le polar le plus noir (Mystic River) que dans le drame de guerre (Letters from Iwo Jima et Flags of our Fathers), la tragédie sportive (Million Dollar Baby) ou dans le western existentiel (Unforgiven), voilà qu’il ajoute encore une nouvelle corde à son arc, corde que l’on n’aurait d’ailleurs jamais imaginé le voir tirer : la comédie.

Car Gran Torino, au-delà de son simple récit d’un vieil homme raciste confronté à son voisinage Hmong (un peuple assez méconnu, venu du Laos, de la Thaïlande et du Vietnam), est un film drôle. Très drôle, même. Il faut voir le grand bonhomme, ici également devant la caméra, s’auto-parodier dans une version toujours plus grincheuse de son légendaire Dirty Harry. Il faut le voir grogner comme un chien méchant, déverser un tombereau d’insanités sur la tête du malheureux qui lui passera sous le nez, récuser tout et son contraire à grands cris au nom de valeurs perdues. Il faut en rire, certes, mais il faut aussi se donner le droit de trouver cela un peu étrange. Car se permettre un sourire devant Clint, n’est-ce pas aussi un peu admettre la fin d’un mythe?

Heureusement, Gran Torino n’est pas qu’un exercice de caricature et cache derrière ses airs bravache de bien belles et nobles idées. De cinéma, d’abord. De la part d’Eastwood, le contraire aurait étonné. Car c’est avec intelligence que le cinéaste souligne les parts cachées et dramatiques de son récit par de magnifiques clairs-obscurs et sinue auprès de ses personnages dans de grands mouvements de caméra amples et fluides. Le classicisme mis au service de la série B fait des merveilles. Mais c’est encore d’une idée toute  bête qu’il résonne. Une idée si dénuée de cynisme, si pure qu’elle en devient presque évangélique. Une idée qui chez d’autres aurait frisé le ridicule, mais qui, chez Eastwood, a le don de venir toucher droit au cœur. Transformant peu à peu cette histoire de vieux grincheux en véritable récit d’initiation, Gran Torino se fait en effet d’une certaine façon le pendant lumineux du No Country for Old Men des frères Coen. Car là où ces derniers mettaient en opposition un monde aux valeurs traditionnelles et un monde moderne furieux, chacun implosant au contact de l’autre dans un chaos de violence désenchantée, c’est plutôt à une vision de l’avenir lumineuse pleine d’espoir que convie Gran Torino. Mettant en présence les mêmes mondes opposés (les anciens et leurs valeurs sans grande prise sur le monde d’aujourd’hui), le film ouvre en réalité un possible enthousiasmant : c’est au contact l’un de l’autre que ces deux mondes s’enrichiront, qu’ils grandiront. Au prix du sacrifice et de la rédemption, la transmission et l’héritage sont possibles. Saint Clint, priez pour nous.

 


8 janvier 2009