Grande Ourse: la clé des possibles
Patrice Sauvé
par Bruno Dequen
Dans les entrevues qu’ils donnent en ce moment pour la sortie de Grande Ourse : la clé des possibles, Patrice Sauvé et Frédéric Ouellet, les créateurs de cette première incarnation au grand écran de la populaire série télé, rappellent constamment qu’ils ont eu beaucoup de difficulté à faire financer le film, même s’ils avaient connu le succès à la télévision. Bien entendu, tout comme leur collègue Erik Cadavres’ Canuel, ils considèrent que c’est le genre même du film qui explique la lenteur décisionnelle. En effet, selon Sauvé, « [c]’est pas encore évident d’obtenir du financement pour du cinéma fantastique, qui en est encore à ses débuts. »
Ce type de discours, qui dénonce constamment la frilosité supposée des institutions envers un certain type de cinéma populaire ou commercial, est d’une mauvaise foi irritante. Si vous avez eu tant de difficulté à faire financer votre scénario, messieurs Sauvé et Ouellet, ce n’est peut-être pas tant par peur des institutions de financer un film fantastique que parce que votre scénario n’était tout simplement pas à la hauteur. Et le visionnement de votre film schizophrène et infantile ne fait que confirmer la seconde hypothèse.
La première chose qui frappe dans ce film, c’est son manque d’originalité. Après avoir eu la vision d’une vieille sorcière et d’un petit garçon dépressif en état d’hypothermie (comme dans Ringu, Ju-On et la moitié des films d’horreur japonais des dernières années), Louis-Bernard Lapointe (Marc Messier) décide d’aller rencontrer un vieux chercheur handicapé spécialiste de mythes anciens (comme dans le Code Da Vinci). À la suite de l’enlèvement de Biron (Normand Daneau), son meilleur ami, Louis-Bernard (une sorte de croisement passif entre Indiana Jones, le Nicolas Cage de National Treasure et, encore une fois, le professeur du Code Da Vinci) décide de décoder les énigmes à saveur mythologique permettant de résoudre le mystère de la clé des possibles, objet magique donnant accès à de multiples mondes parallèles (trop d’histoires identiques ici pour n’en nommer qu’une). Mais pour cela, il va d’abord falloir qu’il fasse comme Keanu Reeves dans Constantine, et qu’il se mette tout habillé dans une baignoire
Mais le véritable problème du film n’est pas tant la réappropriation excessive de nombreux éléments disparates que la gentillesse puérile sans borne d’un scénario qui serait plus adapté au nouveau produit des studios Disney qu’à une oeuvre qui prétend être le premier grand film fantastique québécois. Les dialogues affligeants (combien de fois entendons-nous Marc Messier dire « l’avenir, c’est juste d’la marde »?), les personnages puérils (d’ailleurs, seule Fanny Mallette semble avoir compris que l’unique moyen de faire fonctionner ces personnages est de les interpréter comme des enfants de 11 ans), l’absence totale de noirceur (les quelques moments de pseudo-horreur sont immédiatement désamorcés par une blague potache), la lourdeur d’un scénario et d’une mise en scène qui prennent les spectateurs par la main (les costumes débiles, le dialogue explicatif et le montage alterné – Pensez-vous vraiment que c’est la première fois que nous voyons une histoire sur des univers parallèles?) et, enfin, la conclusion de la quête, dont la morale ultra-appuyée et simpliste (il est préférable de mordre à pleines dents dans la vie plutôt que de rester obsédé par le passé) a plus à voir, encore une fois, avec le film pour enfants qu’avec le cinéma d’aventure fantastique dont Grande Ourse prétend être l’héritier (quand même, une conspiration visant à cacher le plus gros secret de l’histoire de l’église, ça a plus de punch qu’une femme triste cherchant à refaire l’amour à son mari handicapé).
En bout de ligne, le visionnement de Grande Ourse ne génère qu’une pensée : le public d’ici mérite un cinéma de genre québécois de qualité qui ne serait pas qu’un sous-produit puéril. Même si la confirmation récente du financement d’un film biographique sur le commandant Piché (????) réalisé par Eric Cadavres‘ Canuel n’a rien pour rassurer les plus sceptiques, il faut néanmoins garder espoir et inciter les cinéastes qui veulent faire ce type de cinéma à faire preuve de plus d’ambition scénaristique.
26 mars 2009