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Critiques

Green Zone

Paul Greengrass

par Helen Faradji

Sur le papier, c’était la Dream Team. La vraie. De celle qui avait le pouvoir de secouer les puces du cinéma américain en le ramenant dans des sphères politiques et subversives, en le laissant commenter le monde sans flagornerie, complaisance ou patriotisme déplacé. Aux commandes de la fine équipe, le britannique Paul Greengrass qui a su se frotter au chaos provoqué par quelques grands événements mondiaux avec acuité et puissance (Bloody Sunday, United 93), autant qu’au divertissement de haut vol, jouissif et paranoïaque (Bourne Supremacy et Ultimatum). Au jeu, Matt Damon qui a toujours su mettre à distance son physique poupin et athlétique d’all american boy pour proposer un nouveau corps, mais surtout une nouvelle éthique au héros américain. Et au scénario, Brian Helgeland, déjà responsable des ambiances crépusculaires et poisseuses de L.A. Confidential et Mystic River, adaptant ici un livre de Rajiv Chandrasekaran, ancien chef de bureau du Washington Post à Bagdad entre avril 2003 et octobre 2004. Au coeœur du projet : l’enquête menée par un membre de l’armée américaine sur l’existence supposée d’armes de destruction massive en Irak.

Oh, qu’on imaginait déjà les étincelles! Oh, qu’on salivait d’avance à l’idée d’enfin voir réglé le compte de la fine équipe bushienne et de leurs mensonges éhontés! Oh, qu’on est déçu en découvrant le (long) feu d’artifice que Green Zone en a tiré! Feu d’artifice, oui, il n’y a pas d’autres mots devant cette débauche de musique sans imagination noyant chaque image sous une pétarade sonore et convenue. Cette avalanche d’explosions, de poursuites, de fébrilité factice entretenue à grands coups d’effets de montage-choc. Ce déluge de pistes narratives tirant sur à peu près tout ce qui bouge (les journalistes, l’administration, l’armée, les Irakiens : tous les mêmes) dans le seul et unique but d’accentuer le suspense, de surdéterminer le spectacle du thriller. Paul Greengrass invente l’Irakxploitation et ce n’est pas beau à voir.

La faute d’abord à ce qui faisait la marque du cinéaste, son usage épileptique et saisissant de la caméra à l’épaule créant un troublant amalgame entre le documentaire et la fiction, ici transformé en gadget de fête foraine, ne semblant exister que pour simuler un grand huit sensationnel et étourdissant d’émotions fortes (oh la belle verte dans le ciel de Bagdad). La faute ensuite, et sûrement encore davantage, à cette absence de regard politique du récit sur la situation qu’il traite, à cette narration illustrant paresseusement l’enquête du troufion en paraissant totalement insensible à son contexte géo-politique. Signe beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît : l’aberrant résumé sur la jaquette du DVD ne mentionne jamais le mot « Irak » préférant évoquer, comme pour n’importe quel thriller anonyme, une « région instable », une « terre étrangère ». Ne rentrant jamais réellement au cœur de ce qu’il désirait aborder, le transformant en divertissement à la naïveté tantôt sidérante tantôt touchante, Green Zone se contente alors de tourner autour du pot de son véritable sujet – la propagande et l’ensemble de ses dommages collatéraux — en restant dans une zone grise particulièrement inconfortable. Peut-être était-ce trop tôt? Peut-être était-ce trop tard? Toujours est-il que Green Zone rate sa cible.


1 juillet 2010