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Critiques

Gulîstan, terre de roses

Zaynê Akyol

par Gilles Marsolais

Dans ce premier long métrage, Zaynê Akyol impressionne le spectateur par la qualité du contact  humain qu’elle est parvenue à établir rapidement dans un contexte de guerre difficile et par sa façon d’aborder un sujet délicat avec une assurance tranquille. Pourtant, armée au départ d’un scénario préétabli, elle a dû revoir dans l’urgence sa stratégie et rajuster le tir en fonction de la situation sur le terrain qui n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle avait pu imaginer. Dès lors, son projet a mué pour devenir ce portrait de groupe qui nous habite longtemps après nous avoir été révélé. Dans ce film, Zaynê Akyol brosse le portrait de quelques combattantes kurdes en les filmant tout simplement dans leur quotidien et en cherchant à cerner les motivations profondes de leur engagement.

Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un film de propagande ni d’un outil de recrutement, même si le résultat est fort séduisant pour les spectateurs de tous âges. Ces combattantes kurdes s’impliquent à trois niveaux : contre les avancées du groupe armé État islamique, pour l’instauration d’un territoire kurde unifié qui serait reconnu comme un pays à part entière par la communauté internationale et pour l’égalité des sexes. Incidemment, leur combat nationaliste implique la défense de leur territoire et une lutte contre les gouvernements locaux dans des pays tels que la Turquie et l’Iran, ou même l’Iraq où existe pourtant un Kurdistan autonome. La situation de ces combattantes est d’autant plus complexe qu’elles militent, à gauche forcément, à l’intérieur de la branche armée du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et que leur bataillon uniquement composé de femmes est manifestement d’inspiration marxiste-léniniste. Qui plus est, plusieurs pays, dont le Canada, estiment, du fait de leur affiliation au PKK, qu’elles appartiennent à une « organisation terroriste » ! Il s’agit là d’une catégorisation passe-partout qui perdure et frôle le ridicule, surtout quand on la reporte sur une région particulièrement instable où les alliances objectives se font et se défont au gré des saisons, et ne durent que le temps des roses pourrait-on dire…

Quelques figures se détachent de ce petit groupe, dont Sozdar, la dirigeante, une intellectuelle, une ex-universitaire d’une rare maturité et d’une sérénité déconcertante, témoignage de sa foi inébranlable en la cause. Qui plus est, elle le fait sans voler la vedette. Simplement en acceptant le « contrat » passé avec la réalisatrice, toutes deux conscientes du privilège qu’elles s’accordent. Sans maternalisme, elle établit avec la caméra (donc avec Zaynê Akyol) un lien de complicité, comme pour fixer la hauteur et la distance du regard convenant en la circonstance. Dès lors, la cinéaste évite autant l’apitoiement sur ce peuple sans État de 38 millions d’habitants que la glorification de ces « soldates ». Elle se place à la hauteur de leur idéal, de leur foi en la cause qui dépasse leur propre individualité. Aussi, leurs visages radieux, souriants, s’inscrivent tout naturellement semble-t-il dans le cadre, comme le sourire de Sozdar qui finit par s’y fondre après s’être confiée à la réalisatrice. Et pourtant, dans l’attente interminable du départ au combat, leur vie n’a rien de romantique ni de captivant. Elles s’entraînent, discutent, se font belles et, parfaitement conscientes qu’elles n’ont rien à perdre – les armes sont pour elles le dernier recours – elles imposent une façon bien à elles de faire la guerre. Au besoin, un militant âgé leur rend même visite, leur serinant l’une de ses cassettes usées afin de leur rappeler la portée idéologique de leur engagement. Notons au passage que le moment d’abandon consenti, au cours duquel Sozdar quitte son rôle officiel pour se livrer à des confidences, fait contrepoids aux plages de silence discrètement aménagées qui structurent tout le récit. Bref, c’est précisément par ce genre d’échappée que le film gagne en authenticité. Et il se termine de semblable façon, sans que le combat ne s’engage, en nous laissant entrevoir l’ennemi perdu dans la brume et l’obscurité.

Le titre énigmatique du film est un hommage à la gardienne que Zaynê Akyol a perdu de vue vers l’âge de 4 ou 5 ans (avant son émigration à Montréal). Cette bonne, qu’elle considérait comme sa grande sœur, s’était alors enrôlée dans le PKK et elle a été tuée en 2000. Par ce film, la réalisatrice réussit à mieux apprivoiser en quelque sorte la nature de ce type d’engagement.

La bande annonce de Gulîstan, terre de roses


20 janvier 2017