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Critiques

Halloween Kills

David Gordon Green

par Alexandre Fontaine Rousseau

« Now he’s turning us into monsters. » La thèse centrale du Halloween Kills de David Gordon Green se résume à cette seule réplique, qui l’inscrit dans la parfaite continuité de son prédécesseur sorti en 2018. Ce Halloween, en effet, reposait sur l’idée d’une communauté entièrement construite autour d’une peur partagée, incarnée, bien entendu, par la figure impassible de Michael Myers. Haddonfield n’y était plus une ville à proprement parler, mais une représentation de cette Amérique paranoïaque et armée jusqu’aux dents ayant engendré l’ère Trump. Myers, à la limite, ne représentait plus qu’un catalyseur de cette violence autour de laquelle s’articulaient désormais tous les rapports sociaux de même que les liens filiaux.

Trois ans plus tard, force est d’admettre que rien n’a changé. L’implacable tueur continue ici de corrompre l’idée même de communauté, poussant les habitants de Haddonfield vers une sorte de frénésie collective qui va évidemment déraper de façon catastrophique. Prenant les armes pour se défendre, rejetant par la même occasion des figures d’autorité jugées défaillantes, la foule devient une menace au même titre que le croque-mitaine qu’elle cherche à exterminer. « Evil dies tonight », scande en choeur la masse humaine en colère alors qu’elle pourchasse en réalité un pauvre innocent. Le propos du film se révèle alors on ne peut plus clair : la peur gangrène les sociétés, les déréglant jusqu’au point où elles ne peuvent plus fonctionner convenablement.

Sur papier, Halloween Kills est donc la suite logique du film de 2018 ; une extension naturelle de son discours lucide sur l’Amérique contemporaine ainsi que sur les cicatrices laissées par la violence sur son imaginaire collectif. Les victimes continuent d’y manipuler maladroitement des armes, comme si un simple fusil pouvait les protéger de ce mal absolu qui rôde dans la nuit. Ses protagonistes sont « prêts » à affronter le monstre, jusqu’au moment fatidique où ils comprennent que tout cela est inutile face à la menace. Tout ce qui subsiste à l’écran, c’est ce cercle vicieux par lequel le mal engendre le mal. Michael Myers, plus brutal que jamais, n’a même plus à se cacher dans les ombres. Il règne, invincible, sur ce petit monde qu’il a créé.

Malheureusement, l’exécution s’avère étrangement lacunaire. La trame sonore, une fois de plus signée par John Carpenter, brille toujours par son efficacité redoutable. Mais la mise en scène de David Gordon Green n’arrive jamais à insuffler à cette suite une quelconque cohérence formelle. Contrairement au film précédent, Halloween Kills peine à offrir des moments de suspense qui fonctionnent réellement. Le découpage de l’action paraît trop souvent utilitaire, la caméra ne sachant jamais où se positionner pour créer de véritables scènes qui se suffiraient à elles-mêmes. Un montage saturé prend alors le relai, tandis que le scénario impose aux images un sens qu’elles semblent incapables de faire surgir.

La violence à l’état pur se substitue ainsi à toute forme de mise en scène. Les emprunts formels du film précédent au classique de 1978 se sont tous volatilisés, une frontalité appuyée ayant remplacé l’inquiétante distance clinique qui caractérisait ses séquences les plus inspirées. Il n’y a plus, non plus, de jeux esthétiques sur la géométrie de l’image. Green, qui avait su reprendre à bon escient les motifs architecturaux de son modèle, ne semble plus du tout s’intéresser à l’effet qu’a la construction visuelle de son film sur l’horreur. Il frappe sans relâche, avec insistance, jusqu’à ce que nos sens soient totalement engourdis par l’impact répété.

Il y a là une sorte d’écho diffus au propos même du film, qui aurait d’ailleurs pu s’avérer intéressant si le résultat final avait été plus maîtrisé. Il n’y a, en effet, plus rien de latent dans la violence qui nous est présentée. Plus rien d’implicite. La peur, nous dit le cinéaste, n’a plus à se dissimuler. Elle est désormais si centrale qu’elle s’exprime désormais à travers ces mouvements de masse qui se bousculent à l’écran. Ce sont ainsi des foules qui sont décimées, la lente logique d’extermination du slasher étant remplacée par un bain de sang général qui sombre dans le chaos le plus total.

Mais il s’agit là d’une énième idée qui se perd dans le bordel ambiant, à l’instar de celle de faire du film une sorte de double inversé du Halloween II de 1981. De fait, le scénario s’amuse à camper une partie de l’action dans un hôpital où Laurie Strode attend patiemment l’affrontement final avec Michael Myers. Puis, en guise de coup de théâtre, il saborde cette lecture mythologique du récit de la franchise. Le collectif, dans Halloween Kills, supplante en effet de façon systématique les enjeux personnels et individuels. Tout cela, toutefois, n’existe jamais qu’à l’état de concept maladroitement esquissé. Les personnages, à commencer par celui qu’incarne Jamie Lee Curtis, semblent avoir été délaissés par un film qui ne sait pas trop quoi faire d’eux.

En fait, Halloween Kills paraît si obsédé par sa thèse générale qu’il en oublie de la personnifier concrètement. C’est un film qui existe en théorie puis s’effondre en pratique, incapable d’ancrer ses idées dans des moments de cinéma qui fonctionnent ou de les incarner dans des personnages qui serviraient réellement à les porter. De toute façon, la conclusion abandonne toute ambition véritable au profit d’une stricte logique sérielle. Comme si cet épisode servait uniquement de pont vers son éventuelle suite. Espérons la prochaine fois que David Gordon Green aura envie de tourner un film. Car, cette fois-ci, il s’est contenté de nous en balancer les grandes lignes.



22 octobre 2021