Haywire
Steven Soderbergh
par Helen Faradji
Sur le papier, la trame aurait pu paraître usée jusqu’à la corde. Mallory, employée sur-efficace d’une agence de sécurité au service du gouvernement, est trahie par les siens et pourchassée pour un meurtre qu’elle n’a pas commis. Chasse à la femme, adrénaline, paranoïa et retournement de situation, bouc émissaire qui se rebelle : le lit était fait pour un énième petit polar des familles, dopé au spectacle et l’émotion frelatée, du genre à faire loucher la série B vers la Z.
Sauf que derrière la caméra, se tient un cinéaste. Et pas le moins inspiré. Partant de cette matière première anti-révolutionnaire, Steven Soderbergh parvient en effet à modeler un thriller efficace, divertissant, manifestant dans chacune de ses scènes nerveuses un goût et un sens du travail bien fait, à l’ancienne. Out, les délires pyrotechniques, la 3D, l’épilepsie hystérique. In, les cascades artisanales et les combats au poing, rappelant bien davantage un certain cinéma d’exploitation des années 70 que les prouesses visuelles sans âme de nos contemporains. L’hommage à un certain cinéma d’antan (le même que celui de Tarantino et Rodriguez, l’humour sauvage et le gore en moins) est sincère, cela se voit, cela s’apprécie.
Mais tout réjouissant qu’il peut être, toute candide que semble être la démarche de Soderbergh, Haywire tire également une grande partie de sa force de sa capacité presque unique à réunir en un seul film la somme des obsessions de son réalisateur. L’air de rien, c’est en effet plus de 20 ans de cinéma marqué par l’imagination folle de ce touche-à-tout infatigable (prochaines lubies? Liberace, les strip-teaseurs masculins et la dépendance aux médicaments!) que le film nous propose de revisiter. L’idée, par exemple, de transformer en héroïnes de cinéma d’improbables icônes, Sasha Grey dans The Girlfriend Experience d’abord, Gina Carano, championne d’arts martiaux mixtes ensuite, sosie musclée de Catherine Zeta-Jones dans Ocean’s 12 et qui, successivement, et seule comme une Erin Brockovich de compétition, remettra à leur place Channing Tatum, Michael Fassbender ou Ewan McGregor. Les femmes ont souvent été bien traitées dans le cinéma de Soderbergh.
Et puis, comment ne pas penser encore à Traffic devant cette enquête tarabiscotée, cet alignement de stars au garde-à-vous pour l’auteur le plus prolixe du cinéma américain, au sein duquel on retrouve le plus que référencé Michael Douglas? Comment aussi ne pas voir dans cette intrigue multiple et internationale nous baladant avec dynamisme entre Barcelone, Dublin ou les plaines enneigées de l’État de New York, une leçon apprise avec son récent Contagion? Et encore, ces styles visuels traversant avec élégance et équilibre Haywire, tantôt d’une douceur suave, tantôt d’un ultra-réalisme brutal, tantôt dérivés d’utilisation de caméra de surveillance, qui chacun leur tour réveillent des souvenirs venus de The Informant, du Che ou de sex, lies and videotape. Sans oublier, évidemment, cette vengeance façonnée avec soin, à la manière de The Limey ou cette sensualité constante, émanant d’une mise en scène alerte et gracieuse et d’une musique aux inspirations 70’s composée par David Holmes (la série des Ocean, Hunger) ne pouvant que refaire surgir dans les mémoires l’un des plus beaux films de Soderbergh : Out of Sight.
Formidable boîte à réminiscences, séduisant coffre à jouets où l’on se replonge avec bonheur dans l’incroyable fantaisie d’un auteur que rien, ou presque, ne semble rebuter, Haywire n’en oublie pourtant pas l’essentiel : que le tout est toujours supérieur à la somme de ses parties. Il y a là, dans ce petit polar bien troussé et beaucoup plus vaste que ce qu’il annonce, quelque chose de miraculeux. Un battement d’ailes de plus d’un cinéaste-papillon. Qui l’aime le suive.
La bande-annonce de Haywire
10 mai 2012