Heli
Amat Escalante
par Philippe Gajan
Le nouveau film d’Amat Escalante (Sangre, Los bastardos), Louve d’or du dernier Festival du Nouveau Cinéma et prix de la mise en scène à Cannes, est un véritable coup de poing qui vous retourne l’estomac pendant 1 h 30. Littéralement, viscéralement… Abandonnant le grotesque du très réussi Sangre, ou la stylisation outrancière (plans étirés à l’extrême, irruption de violence aiguë) du plus indigeste Los bastardos, celui qu’on aurait pu classer à l’époque quelque part entre le Reygadas de Batalla en el cielo et le João Pedro Rodriguez de O Fantasma, revient avec un film sec, sans concession aucune et d’une précision chirurgicale sur un état de société en pleine déliquescence, illustré par le destin tragique de Heli, jeune mexicain sans histoire, et de sa famille. Comme dans ses deux précédents films, les protagonistes baignent dans une sorte d’hébétude, conséquence de l’impuissance absolue à laquelle la guerre des narcos et la corruption de leur société les condamnent. Et si la violence – les irruptions de violence sont bien présentes à l’écran (tortures, exécutions sommaires) – est plus que dérangeante, c’est qu’elle nous renvoie à la fois métaphoriquement et directement à un hors-champ politique encore plus terrifiant.
C’est évidemment sur ce point que le film a été attaqué et taxé de complaisance. Pourtant, le cinéaste ne cesse de créer durant tout le film des relais pour le regard, jusqu’à cette scène où des enfants assistent, passifs, au « spectacle » d’une torture particulièrement dure et abjecte. Ainsi cette prise à partie du spectateur est poussée plus loin qu’à l’ordinaire (on assiste au spectacle du spectacle), dénotant une volonté de le faire réagir devant la violence du monde, ce qui semble difficile à interpréter comme de la complaisance.Comme chez Reygadas (qui coproduit le film avec Escalante), le mal absolu règne en maître et le fantôme du Buñuel de Los olvidados plane lugubrement. Mais contrairement à ses deux précédents films, Escalante clôt Heli par une séquence où une faible, oh si faible, lueur d’humanité semble encore subsister. Ce n’est pas de la résistance, beaucoup s’en faut, mais peut-être de la résilience. il faudra s’en contenter.
La bande-annonce de Heli
7 novembre 2013