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Critiques

Hellacious Acres: The Case of John Glass

Pat Tremblay

par Damien Detcheberry

Non content d’être le titre d’une chanson de Barbara Streisand et de Kris Kristofferson, Hellacious Acres –- traduisez « les champs de l’enfer » -– est probablement l’objet filmique québécois le plus atypique depuis… depuis… est probablement l’objet filmique québécois le plus atypique. Après avoir été découvert au festival Fantasia l’été dernier – et mentionné brièvement dans ces mêmes colonnes – le film de Pat Tremblay a depuis poursuivi sa carrière dans les festivals fantastiques internationaux, dont le prestigieux festival de Sitges, avant de sortir cette semaine en DVD et en VOD aux États-Unis et au Canada. L’occasion de revenir sur ce petit phénomène drôlissime et audacieux.

Réalisé avec peu de moyens, hors des sentiers battus de la production classique et des habituels guichets de financement, Hellacious Acres : the Case of John Glass s’aventure dans deux registres hautement périlleux, en particulier en situation de pénurie pécuniaire, à savoir celui de la science-fiction et celui de la comédie. Pat Tremblay s’en sort pourtant avec une inventivité que lui envieraient bien des comédies à gros budget. Dévastée par un holocauste nucléaire, la Terre n’abrite désormais que quelques survivants humanoïdes menacés par des hordes d’extra-terrestres lugubres et vaporeux. John Glass, survivant amnésique et désorienté, se réveille d’un long sommeil cryogénique dans une grange abandonnée et apprend, grâce à l’interface intégrée à sa combinaison anti-radiation, qu’il a pour mission de rétablir une atmosphère respirable sur la planète. Pour cela, il doit traverser la campagne environnante afin d’atteindre différents lieux stratégiques, en prenant soin d’éviter toute rencontre désagréable.

Commence alors pour cet antihéros, comme pour le spectateur, le vrai périple orchestré sadiquement par Pat Tremblay. Si l’on pense d’emblée à un mélange improbable entre les Monty Pythons de Sacré Graal –- pour la quête absurde -– et le Stalker d’Andreï Tarkovski -– pour les angoissants paysages champêtres -,– c’est que le réalisateur, avec un sens aigu de l’humour noir qui caractérisait la troupe britannique, prend un malin plaisir à détourner le langage visuel du cinéaste russe pour mieux tourmenter les nerfs des spectateurs. C’est précisément de ce mariage surréaliste que naît l’atmosphère unique qui fait tout le sel du film.

A propos de Down by Law et de Stranger than Paradise, Jim Jarmusch avait mentionné que ces films étaient faits d’éléments qui seraient habituellement coupés au montage, de moments qui se situent entre ceux que l’on considère comme signifiants. C’est ce même parti pris qu’adopte Pat Tremblay, et qu’il pousse à l’extrême pour en faire un pied de nez formel au cinéma hollywoodien qui a peur du vide, au point de confondre style et montage MTV. Ce n’est donc pas tant la quête qui importe dans Hellacious Acres que le processus de recherche en lui-même : une recherche complètement futile qui sert uniquement de prétexte aux mésaventures de John Glass, sorte de Buster Keaton futuriste au masque impassible, prisonnier d’un temps suspendu.

Car dans ce monde apocalyptique, rien ne bouge, forcément. Mais la dilatation du temps par le cinéaste ferait pâlir Sergio Leone lui-même : la traversée d’un champ, filmée en long – trèèès long – plan-séquence, devient une épreuve harassante, frustrante, impitoyablement pénible. Un acte aussi banal que se nourrir prend une dimension herculéenne, particulièrement lorsqu’il faut résoudre un casse-tête incongru qui consiste à faire entrer de la nourriture avariée dans une combinaison hermétiquement close. Loin de provoquer l’ennui, ce jeu sur la durée des plans se fait évidemment avec un sens rigoureux du timing burlesque, en pleine conscience du regard du spectateur. À la manière dont Tim Burton déclarait à travers Mars Attacks sa flamme pour le cinéma de science-fiction rutilant et désuet des années 50, Hellacious Acres flirte malicieusement avec la série Z et le film d’auteur hermétique, tout en bouillonnant d’inventions visuelles. Au final, son ingéniosité défie tous les obstacles du manque de moyens, et son mélange de genres en fait une œuvre inclassable et jubilatoire. On trouvera difficilement une meilleure chimie pour un futur film culte.

Le site du film

La bande-annonce d’Hellacious Acres


5 avril 2012