Critiques

Hotel by the River

Hong Sang-soo

par Aude Renaud-Lorrain

Côte à côte la rivière et l’hôtel s’effleurent, côte à côte les deux femmes sont allongées sur un lit étroit, côte à côte les deux frères sont assis face à leur père. Seul le poète s’endort et la neige tombe. Ho Young-wan, poète célèbre d’un certain âge, séjourne dans un hôtel suite à l’invitation du propriétaire et convie ses deux fils pour leur partager le pressentiment de sa mort prochaine. Voisine de palier, Sang-hee se remet d’une rupture amoureuse et reçoit la visite d’une amie qui vient lui prêter main-forte. Alors que certains des personnages se retrouvent, c’est dans ce décor certes hivernal, mais gorgé de lumière où seuls le noir et le blanc se côtoient, que la solitude du poète est d’autant plus apparente. Indissociable de sa liberté, sa solitude est un état qu’il cherche à préserver. Pour ce faire, Ho Young-wan, use de stratagèmes burlesques qui font tendre Hotel by the River de Hong Sang-soo, vers une douceur amère plus que vers un tourment de l’âme, aussi tourmentés puissent être les protagonistes.

À l’intérieur et aux alentours de cet hôtel bordant la large rivière Han, le film s’harmonise en exploitant symétries et rencontres, mais aussi asymétrie et rendez-vous manqués. Les personnages se font écho par ressemblances ou par oppositions, à l’image d’une forme symétrique inversée en tout points. Sang-hee fait la demande à son amie de lui apporter un café et l’accueille dans l’intimité de sa chambre, alors que Young-wan décline le café offert par son fils en insistant poliment au téléphone (mais avec une persistance donnant lieu à un dialogue drolatique) pour les rencontrer dans le café de l’hôtel afin de ne pas exposer l’intimité de son espace, et peut-être, ne pas révéler d’indices quant aux évènements à venir.

Ho Young-wan a choisi cet isolement, mais il se plaît à le perturber lorsqu’il voit les silhouettes des deux femmes marcher dans la neige. Il va à leur rencontre pour leur dire à maintes reprises combien elles sont belles. Un peu gênées par la situation, Sang-hee et son amie le remercient. Ce trio se réunit à nouveau vers la fin du film alors que Ho Youhg-wan s’assoit à leur table pour trinquer et lire un poème. À travers ces deux moments, l’homme reste seul et semble davantage entretenir un monologue qu’un réel échange, car aussi sincère soit-il, les femmes semblent exprimer davantage une admiration polie à son égard, qu’une écoute sensible. Bien qu’ils interagissent dans le même espace spatio-temporel, c’est comme si Young-wan habitait l’espace des mots et de sa poésie plus que l’espace terrestre.

À l’image des visites répétées de Byung-soo, le plus jeune fils, aux toilettes en quête de la figure paternelle, Ho Youhg-wan s’étant volatilisé pour ne pas dire volontairement éclipsé, le film s’amuse brillamment avec le temps et l’espace. Les personnages partagent les mêmes lieux sans partager la même temporalité et inversement, partagent la même temporalité sans se croiser, comme lorsque le père est assis dans le café à une autre table que ses fils sans qu’ils ne se voient. N’y a-t-il pas quelque chose parfois d’étrange et de magique dans la simultanéité des rencontres, mais aussi de banal, un mélange de prescription de l’environnement social et d’aléas ? Si une rencontre se qualifie par une concordance temporelle et géographique, Hong Sang-soo nous permet ici de penser à celles qui n’ont pas eu lieu, les rencontres manquées ou à peine esquissées.

Ho Young-wan justifie son départ de la cellule familiale par la volonté qu’il a eue de laisser l’amour guider sa vie. Père absent, il appelle ses fils pour leur faire part de son pressentiment sur fond d’adieux. Dans cet élan de partage, il leur révèle la signification de leur nom respectif. L’un deux, Byung-soo, signifie côte à côte, comme deux frères, aussi différents puissent-ils être. Cette proximité est celle d’un équilibre profond entre les cieux, évoqués par la poésie, et la terre, où l’être humain s’enracine. Il explique que la disparition d’un tel équilibre mène les êtres à leur perte. Alors, la poésie n’érafle plus, ne frôle plus les êtres, et s’éloigne. Hotel by the River est un magnifique film qui borde et effleure ses personnages, tout en les laissant libres de perturber le fil narratif en créant des détours. Par les situations loufoques qui en résultent, ces mouvements donnent aux films de Hong Sang-soo un réalisme accru et singulier, où poésie, drame et plaisanterie se côtoient dans un équilibre qui n’a rien d’anodin.

Corée du Sud / 2018 / Ré. et scé. Hong Sang-soo / Ph. Kim Hyung-ku / Mont. Son Yeon-ji / Son Jihoon Seo / Int. Gi Ju-bong, Kim Min-hee, Kwon Hae-hyo, Song Seon-mi, Yoo Joon-Sang / 96 minutes


23 juillet 2019