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Critiques

How to make it in America

par Helen Faradji

Les grandes séries ont ceci de particulier qu’elles savent prendre le pouls du vivre ensemble, mettre le monde en images, accoucher en format télé autant d’une pensée cinéma (oui, oui) que d’une vision de notre société. Elles informent, bouleversent, passionnent. Le foyer des bonnes séries est, lui, plus limité. Elles plantent leurs crampons dans le ici et maintenant, restreignent l’angle pour dire un monde, prenant le risque de ne pas passer l’épreuve du temps, mais captant avec une acuité redoutable quelque chose d’aussi évanescent que l’air du temps. Elles amusent, éclairent et dans le meilleur des cas, résonnent.

How to Make it in America, malgré son titre prometteur, est une bonne série. Produite par Mark Walhberg (dont les choix de producteur semblent décidément racheter son flair vacillant d’acteur) et ses acolytes, on pouvait pourtant craindre le désastre. Car ce sont les mêmes qui ont présidé au destin d’Entourage, plongée dans le monde luxe trois étoiles d’un bimbo hollywoodien qui, malgré un départ en lion, critique et acéré, n’est plus aujourd’hui qu’un ramassis de clichés vulgaires, machos et bling bling. How to make it in America subira-t-il la même dégringolade? À suivre. Reste en tout cas que cette première, et courte saison (8 fois 26 minutes et basta) fait anticiper avec enthousiasme une radioscopie aussi vibrante que perspicace de la jeunesse new-yorkaise (ultra)-contemporaine.

Comme dans Entourage, les références pointues, éminemment cool, pleuvent. Dès le premier épisode, installant le ver d’oreille d’Aloe Blacc en hymne, on cite allégrement Art Forum ou Nylon, on se balade dans les galeries photo branchées, on entend les vintages Digable Planets, Brass Construction ou les Stones, tout le monde dégaine son iPhone et porte le T-shirt usé à message ironique dont tout le monde rêve ou la paire de bottes dénichées dans le grenier de sa mère, icône des 70’s. Tout le monde a son uniforme, son masque. Dans Entourage, c’était la version vedette de cinéma, bikini et fourrure, là, celle du hipster, baskets organiques et lunettes à grosses montures. Mais si les deux séries diffèrent assurément par leur style (Entourage ne refusant de se vautrer dans aucun spectacle décadent, How to Make it infusé à l’esprit photo, et notamment à celui du photographe vedette Terri Richardson dans une mise en scène particulièrement dynamique), les deux se rejoignent néanmoins sur un plan : la peinture qu’elles font de l’obsession de cette jeunesse américaine pour la réussite.

Le rêve américain n’est pas mort. Et la génération Y semble bien déterminée à profiter (piller?) autant que leurs aînés baby-boomers des richesses de la « land of opportunity ». Tout est possible, il suffit de le vouloir. Mais la volonté n’a plus les mêmes ambitions aujourd’hui. La réussite, d’accord, mais encore faut-il que ce soit facile. Le travail n’est plus une façon de se valoriser socialement. Mais partir un band et rêver de gloire, faire repérer son design et amasser les dollars, skater et se faire sponsoriser pour mener la belle vie, oui. Dans le ici et maintenant, c’est surtout le maintenant qui compte. Les discours prônant l’effort, le travail, le long terme, l’entrepreneurship sont ceux des ancêtres. Pour les jeunes d’How to Make it, la donne est simple : réussir, c’est avoir ses 15 minutes et faire de ses illusions de bobo une réalité.

Pourtant, la série arrive vite à se distinguer de sa cousine West Coast en infusant une bonne dose d’esprit critique à son portrait. Ben et Cam, les deux héros adulescents rêvassant à faire leur trou, pratiquent un périlleux va-et-vient entre idées géniales, talent réel et catastrophes en série leur mettant sans cesse des bâtons dans les roues. Optimistes, mais rattrapés par la réalité. Comme des millions d’Américains, tout prêts à faire d’Obama un Messie, tout prêts à le destituer dès que le réel montre les dents. Et puis, il y a encore tous ces personnages secondaires, incarnations d’un cool 2.0 enviable, mais par lesquels la série ne va cesser de tacler l’arrivisme, la superficialité, la vanité de toute une génération. Cette ex-petite amie designer d’intérieur qui, pendant 30 secondes après la visite d’une amie impliquée dans l’action humanitaire en Afrique, va pleurnicher sur la vacuité de sa vie pour mieux y replonger les yeux fermés. Cet ami richissime, courtier à Wall Street, collectionneur de Damien Hirst, mais qui «n’aime pas le noir et blanc », qui va littéralement acheter son entrée dans le monde des cools sans réaliser que de brandir des liasses de billets sous le nez de mannequins dans une boîte branchée ne cadre pas dans cet univers. Cet oncle, encore, sorti de prison, mais décidé à se construire une nouvelle identité légale de chef d’entreprise, mais que ses démons viennent sans cesse titiller. Et cette absence généralisée d’intérêt, ce refus d’implication sociale, politique ou même environnementale, de ces jeunes pour autre chose que leurs nombrils.

Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils font les couvertures de magazines. Mais Dieu qu’ils ne font pas rêver.

La bande-annonce d’How to Make it in America:

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29 septembre 2011