Humpday
Lynne Shelton
par Helen Faradji
Invention de magazines tendances autant que réel phénomène social, les adulescents (on peut préférer dire les enfultes, mais c’est plus vulgaire) avaient évidemment de quoi séduire le cinéma. Aussi attachants et mignons que des enfants, mais sans les pleurs et les cris, aussi indépendants et libres que des adultes, mais sans les responsabilités et les conventions, ils ont notamment trouvé leur place dans le petit univers crée par Judd Apatow (Knocked Up, Funny People), ce dernier les ayant même transformés en porte-étendards d’une génération. Mais la comédie a toujours eu ses limites. Rien d’étonnant donc à ce qu’ils s’invitent aujourd’hui dans le monde du cinéma indépendant américain, chez la réalisatrice Lynn Shelton, pour tenter d’y trouver une légitimité et une crédibilité.
Ben est marié et tente d’avoir un enfant avec sa douce. Mais lorsqu’Andrew, son ancien copain de fac et artiste nomade, débarque chez eux, la petite vie tranquille de Ben connaît bien des remous. Après une soirée arrosée, les deux amis décident en effet de conjurer l’ennui en participant, au nom de l’Art, bien évidemment, à Humpfest, un festival de porno amateur. Une mini-dv, deux gars hétéros bedonnants et aussi excitants qu’une partie de gin rami chez grand-maman, une chambre d’hôtel : les dés sont jetés.
Dans une autre vie, Lynn Shelton (My Effortless Brilliance, We Go Way Back) aurait certainement pu être une grande de la publicité, tant son sens du pitch est aiguisé. À simplement lire son synopsis, on imagine sans peine les réactions : comme Humpday est moderne, comme il est libéré, comme il se moque des conventions. Une femme qui s’intéresse aux relations masculines et à la sexualité. Quelle audace, quelle franchise. La Quinzaine 2009 a d’ailleurs succombé, l’accueillant à bras ouverts dans sa sélection. Sundance, où tout ce que le cinéma indie fait grouille et grenouille chaque année, ne s’y est lui non plus pas trompé, couronnant l’effort d’un prix spécial du jury pour son « esprit d’indépendance ».
Indépendance? Vraiment? Mais où exactement? Dans cette (absence de?) mise en scène hyper-réaliste portée par les mouvements saccadés et approximatifs d’une caméra à l’épaule mal maîtrisée donnant sans cesse la fausse impression de pénétrer au plus près l’intimité de ses personnages? Dans cet éclairage terne, vacillant et sans relief laissant grossièrement apparaître le grain de l’image? Chez ses acteurs, Mark Duplass et Joshua Leonard, qui sont au cliché du jeune premier ce que l’art est au porno? Certainement pas. L’indépendance doit être ailleurs, alors. Dans ce récit au vernis si téméraire, sûrement. Non, toujours pas. Car il faut être honnête, Humpday, c’est le degré zéro de l’émoustillement. Le F pointé de la créativité. Le minimum acceptable de l’originalité. Humpday, c’est l’enrobage accrocheur d’un projet fait sur mesure pour un type de cinéma dit non-conformiste qui se délite encore un peu plus à chaque image pour ne laisser à voir au spectateur qu’un squelette famélique et sans consistance. Humpday, c’est de longues minutes passées à observer en gros plan la cellulite de madame, les ronflements de monsieur ou la passionnante préparation d’escalopes de porc tandis qu’en arrière-plan se déploie le fantasme nostalgique de la libération sexuelle des années 70. Humpday, c’est l’ennui des trentenaires offert à regarder sans fards ni complexes, noyé sous des tonnes de dialogues bavards et vides. Humpday, c’est en fait un condensé du pire du cinéma indépendant américain, de sa vacuité à sa bêtise morale. Et lorsqu’un type de cinéma commence à s’auto-parodier, ce n’est jamais bon signe.
2 Décembre 2009