I Love You, Philip Morris
John Requa Requa
par Helen Faradji
Dans une vie de cinéma, on croise peu d’acteurs comme Jim Carrey. Des physiques, des élastiques, qu’on croirait tout droit nés d’un coup de crayon de Tex Avery. Jerry Lewis avait également cette capacité à habiter l’écran de tout son grand corps gauche. Les grands burlesques aussi. Mais aucun n’avait cette méchanceté dans l’il, ce sourire trop plein de dents, cette perpétuelle distance qui nous fait sans cesse douter de l’ironie, réelle ou fantasmée, qui habite les interprétations du comédien ontarien. Le corps et le visage, donc, comme il y a le yin et le yang, pour un équilibre parfait du sens comique. Rares, donc, sont les comédiens comme Jim Carrey parce que rares sont les performances d’acteur demandant ce genre d’investissement, rares sont les rôles qui tolèrent qu’on les vampirise ainsi et rares sont les cinéastes à savoir construire des environnements qui ne se feront pas engloutir par ce corps et ce visage cartoonesques, hors du commun. Ben Stiller (The Cable Guy en 1996), Peter Weir (The Truman Show en 98) et Milos Forman (Man on the Moon en 99) y avaient réussi.
Les scénaristes John Requa et Glenn Ficarra (Bad Santa, tout de même), ici à leur premier essai de réalisation, n’ont peut-être pas exactement le talent de leurs prédécesseurs. Mais dans leur I Love You, Phillip Morris, petite sensation cannoise d’il y a deux ans nous arrivant enfin en DVD après un très bref passage en salles, ils s’en approchent nettement. En comprenant une chose toute bête : faire un film avec Jim Carrey, c’est d’abord accepter de se mettre aux commandes d’un film « de » Jim Carrey. Lui offrir un véhicule qui ne brimera pas sa démesure, mais l’accompagnera pour mieux la mettre en valeur. Ne pas tenter de mettre en cage cette folie, vaguement démoniaque, qui semble s’emparer de l’acteur dès qu’il approche un rôle. Et comment s’y prennent-ils? En offrant à ce coquin de Carrey, homme étrange à l’énergie oscillant entre celle, narquoise, d’un Bugs Bunny et celle, vitupérante, du Diable de Tasmanie, ce rôle d’un homme tout aussi singulier et tout aussi réel : Steven Russel, condamné à 144 années de prison après milles et une arnaque toutes plus inventives les unes que les autres. Mais point de sentimentalisme maternel à la Catch Me if You Can dans I Love you, Phillip Morris. Car si Russell embobine à tout va lui aussi par amour, c’est plutôt pour trouver sa place dans le regard d’un autre homme, le fameux Phillip Morris du titre, l’amour de sa vie rencontré en prison. Certes, il y aura bien une histoire d’amour maternel là-dessus, mais Requa et Ficarra ont le bon goût de refuser la guimauve pour plutôt profiter à fond de la flamboyance, légèrement bling-bling, de Jim Carrey. Un rôle sur mesure, couture, qui en retour offre aussi au comédien une occasion en or de briser cette bête ligne lisse et politiquement correcte que les stars hollywoodiennes s’empressent habituellement d’embrasser.
Un rôle, un sujet, des dialogues assez drôles et même piquants (ce tordant » Being gay is really expensive »), tout devrait être là. Malheureusement, restent de nombreuses longueurs dans ce récit enlevé et surtout un vis-à-vis bien trop peu solide sur ses nouvelles pattes gay pour convaincre : Ewan McGregor. On comprend le comédien écossais d’avoir voulu faire face à la tornade Carrey en faisant lui aussi preuve d’outrance, de surcharge (son accent à lui seul est un monument de fausseté). Mais chez lui, on sent la sueur, l’effort. Le jupon de l’acteur dépasse. Jouant l’époux aimant et obéissant comme dans une sitcom des années 50, l’il mouillé, il est cette épine dans le pied de ce film original et audacieux. Non, décidément, les acteurs comme Jim Carrey sont rares.
14 avril 2011