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Critiques

In My Room

Mati Diop

par Samy Benammar

Après Atlantique en 2019, Mati Diop revient au court métrage documentaire pour poursuivre un parcours intime qu’elle avait entamé en 2013 avec Mille Soleils où elle revenait sur les traces d’un film réalisé par son Oncle Djibril Diop Mambéty (1973). Dans In my Room, c’est de sa grand-mère Maji dont il est question et des moments passés avec elle dans les derniers mois de sa vie, moments enregistrés un peu au hasard et laissés de côté en attendant que survienne l’occasion propice, à savoir l’année 2020 et le confinement qui offrent aux paroles de Maji les images manquantes.

Les mots de la grand-mère racontent ses souvenirs de jeunesse, les rêves oubliés comme les journées dévorées par la mémoire fragile de cette voix hésitante, aussi belle que tragique qui « essaye de vivre encore ». Très vite, on imagine la question initiale qui explique le temps écoulé entre l’enregistrement des conversations et la réalisation du film : comment exprimer cette solitude de la vieillesse quand on ne peut que l’entrevoir pendant de courtes visites et comment dire en quelques minutes la langueur et la monotonie d’un appartement quand c’est le silence d’abord, le vide ensuite qui la caractérisent ? Ce sont les évènements liés à la pandémie de Covid-19 qui rendent ces éléments indicibles enfin transposables à l’écran puisque le mal propre à l’isolement de la vieillesse devient un moment partagé par tous. Mettant en scène son confinement, Mati Diop crée un parallèle entre deux vies qui se superposent, la sienne confrontée à ces journées de printemps répétitives et celle d’une grand-mère qui a vécu cette traversée du désert des années durant.

Sans pudeur, Mati Diop met à nu le personnage de Maji. Le portrait dressé n’est ni un hommage ni une critique et nous laisse entendre un être humain dans son entièreté : sa tendresse drôle, mais aussi les aspects les plus sombres de sa personnalité. Ainsi, l’on ne peut que s’offusquer des remarques condescendantes lancées à son aide à domicile, mais y répondent des paroles plus fragiles laissant transparaitre que toute cette aigreur trouve ses origines dans une grande frustration et dans la peur d’être laissée de côté. Ce dernier point finit par laisser place aux sanglots à la suite d’une phrase dont la banalité ouvre sur une réalité pénétrante à la fois évidente et rarement exprimée : « foutez-moi la paix !». Le film nous emmène ainsi du rire aux larmes dans l’espace réduit où se réfugie Mati Diop pour ausculter sa mémoire.

L’idée du film n’a en fait rien d’original et ne surprend aucunement son spectateur mais, dans le quotidien insignifiant de la réalisatrice, une forme d’identification inévitable se produit. Celle-ci se met à danser seule, chante dans sa cuisine silencieuse, regarde par la fenêtre pour fixer un coucher de soleil qui éclaire d’une lumière rougeâtre les centaines d’appartements où se jouent d’autres confinements, d’autres moments de folie et d’autres deuils. Et c’est en dévoilant cet univers personnel, trop peu présent au cinéma, que Mati Diop soulève avec légèreté certaines questions de fond pour nous dire – à l’image du mail qu’elle envoie à la marque Miu Miu qui commandite le film – que, confronté au vide, il faut trouver d’autres espaces pour continuer même lorsque plus rien ne semble avoir de sens. Si Mati Diop nous offre un court métrage en apparence insignifiant, qui recolle des fragments sans importance et met bout à bout toutes ces images qui ont été les nôtres ces derniers mois, c’est pour proposer à la fois une invitation à passer du temps avec nos proches et une ode à la solitude : la sienne, celle de grand-mère, la nôtre aussi. Alors pendant une vingtaine de minutes, le spectateur se laisse emporter par ce film de rien qui ne saurait se regarder autre part que dans la chaleur de sa chambre.

Le film est visible sur la plateforme MUBI et sur YouTube.


22 septembre 2020