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Critiques

India Song

Marguerite Duras

par Marcel Jean

Dans l’imposante filmographie de Marguerite Duras, India song, sorti en 1975, occupe une place à part. Il s’agit en effet de son film le plus connu, son chef d’œoeuvre, dirons-nous, le film où se cristallise une écriture filmique d’une modernité implacable qui va marquer la décennie 1970 aux côtés des travaux d’Akerman et de Godard. Une écriture qui va ensuite se radicaliser : Son nom de Venise dans Calcutta désert, dans lequel elle reprend intégralement la trame sonore d’India song, Le camion qui se déleste du jeu de l’acteur puis, surtout, L’homme Atlantique et ses quarante minutes de noir intégral.

Publié sous forme de texte en 1973, India song convie les personnages d’Anne-Marie Stretter et du vice-consul de France à Lahore, déjà présents dans d’autres œuvres de Duras. Ceux-ci prennent place dans un écrin de musique –  musique de Carlos D’Alessio mais aussi musique des mots – qui devient une sorte d’aspiration à l’affect pur, le film se dégageant ainsi de la trame narrative telle qu’elle est habituellement conçue au cinéma, le film se dégageant surtout de la vraisemblance. Finie, donc, l’inféodation du son à l’image : ceux-ci se trouvent dissociés, les voix se font entendre mais les bouches restent closes, les gestes des personnages ne répondent pas à l’appel des mots…

    India song s’ouvre sur un coucher de soleil, plan magnifique de quatre minutes qui lave le regard (images de Bruno Nuytten) et situe d’emblée l’œoeuvre dans un ailleurs encore indéfinissable, un lieu et une temporalité purement filmiques dont le dispositif pourrait peut-être rappeler – mais si lointainement! – ce tour de force de Resnais et de Robbe-Grillet qu’est L’année dernière à Marienbad. Là, dans un enchevêtrement de voix, il est question d’amour, de passion, d’une réception, évoqués comme s’il s’agissait de souvenirs tantôt précis, tantôt insaisissables. Mais ces souvenirs sont intemporels, comme s’ils appartenaient autant au présent qu’au passé, comme s’ils naissaient parfois de la seule parole et de sa singulière interaction avec les images et la musique. Toujours la musique…

Les cinéphiles ont déploré pendant longtemps l’absence d’édition dvd d’India song. En décembre 2005 est enfin venue une édition française. Le film était alors accompagné d’une postface vidéographique intitulée La couleur des mots, réalisation de Jean Mascolo et de Jérôme Beaujour, document fort pertinent datant de 1984 et d’une durée de 63 minutes. L’édition québécoise aujourd’hui disponible est plus chiche. Aucun supplément, aucune restauration, encodage effectué à partir d’éléments de qualité moyenne. L’éditeur, Coppelia Olivi Musique, semble se complaire à faire le minimum : pas de site Internet, pas de catalogue disponible, pas de réponse au courriel ni aux nombreux appels téléphoniques. En résumé, pas très sérieux. Mince consolation, le prix est tout de même raisonnable, vu l’exiguïté du marché : 19.99$ à la Boîte noire, 24.99$ chez Archambault. Un peu moins cher si on l’achète en coffret comprenant aussi Baxter Vera Baxter, cet autre Duras de 1977. Par comparaison, l’édition française d’India song, zonée 2, est vendue autour de 28 euros (environ 45$) et actuellement disponible par Internet à la FNAC.


17 décembre 2009