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Critiques

Infiniment Québec

Jean-Claude Labrecque

par Gérard Grugeau

Les programmes doubles ont parfois des effets pervers. Visionner dans la foulée, comme le propose le cinéma du Parc, 60 cycles, tourné par Jean-Claude Labrecque en 1965 sur le tour cycliste amateur du Saint-Laurent, et Infiniment Québec, son plus récent film où le réalisateur rend hommage à sa ville natale, c’est faire l’expérience douloureuse d’une perte. Une perte de régime où, au filmage en roue libre, incroyablement vivant et audacieux des débuts de notre cinématographie, succède aujourd’hui un cinéma conventionnel qui, avec sa narration littéraire et son utilisation d’images d’archives (certes inédites), n’échappe pas au formatage de tant de productions documentaires actuelles.

Avec ses indéniables qualités visuelles, Infiniment Québec a tout du film de commande destiné au plus grand nombre pour commémorer le 400e anniversaire de la fondation du berceau de l’Amérique française par Samuel de Champlain. Cette ville de Québec qu’il affectionne particulièrement et qui a forgé son imaginaire de créateur, Jean-Claude Labrecque se propose d’en livrer l’histoire hors du commun et d’en révéler les splendeurs passées et présentes à travers ses souvenirs d’enfance et son amitié pour un jeune prince français qu’il a connu jadis, au pensionnat. Et les splendeurs immuables de la ville sont là, à l’écran, immortalisées selon les saisons par une photographie somptueuse qui joue de la lumière avec virtuosité au rythme d’une trame sonore éclectique où le concerto de Québec d’André Mathieu côtoie les volutes aériennes de Jorane et les innombrables bruits du quotidien. Québec sied bien au cinéma. Plusieurs plans rappellent les toiles de maître, à l’image de ces aquarelles et de ces peintures dont le cinéaste émaille son récit, entremêlant art et histoire avec l’œil infaillible du fin connaisseur. Se substituant à Hitchcock, Labrecque reprend même un plan de I Confess pour attester de cette photogénie ostentatoire du Québec intra muros qui a séduit tant d’artistes. Fière de son double héritage culturel et de son américanité métissée, Québec se présente aujourd’hui comme un havre de paix où chacun semble jouir «de la douceur d’un temps unique».

Vision apaisée et rassurante de l’Histoire que le film livre avec la tendresse un peu naïve des amoureux transis ou des flâneurs ardents. Au bout du compte, Infiniment Québec brille dans un bel écrin de velours consensuel dont les bureaux de tourisme seront friands. Mais au-delà du sérieux de la recherche historique en arrière-plan, le film manque sa véritable cible : toucher à l’âme d’un lieu malmené par l’Histoire et réconcilié aujourd’hui avec elle jusqu’à l’engourdissement. La ville semble désormais trop tranquille, amputée de son être profond, prisonnière de son rôle de ville vitrine qui vit langoureusement sur ses souvenirs, ou de ville musée abandonnée à son embaumement fièrement consenti. Altière sur son Cap Diamant, Québec parade aux yeux du monde entier en ces temps de festivités obligées, tout en se mirant dans le miroir flatteur de sa beauté à la fois surannée et moderne. Mais au sortir de la projection, plusieurs interrogations lancinantes taraudent le spectateur. Y a-t-il une vie après l’Histoire? Que reste t-il du réel?


24 juillet 2008