Interstellar
Christopher Nolan
par Helen Faradji
Mais qu’est-il arrivé à la science-fiction contemporaine ? Du Prometheus de Ridley Scott aux essais suivants de ceux que l’on avait sacré un peu trop vite jeunes prodiges après leurs premiers films, Neill Blomkamp, Richard Kelly et Duncan Jones, en passant par les « hits » Avatar, Inception ou Lucy ou par les vingt-cinquièmes suites apportées à Transformers, Star Wars ou Terminator, impossible de ne pas se gratter le crâne. Si bien sûr, il reste quelques heureuses exceptions, passant bien trop souvent sous le radar de l’attention mondiale (Under the Skin, The Rover, The Congress…), où sont donc passées la profondeur politique, la grandeur métaphysique, l’humilité devant les grands mystères ou même la simple candeur de vouloir divertir sans cynisme ? Où sont donc les 2001, les Blade Runner, les Star Wars, les Alien de notre époque ?
C’est à leur recherche que Christopher Nolan s’est lancé. L’avouant candidement dans toutes ses entrevues, le roitelet d’Hollywood a en effet affirmé avoir voulu, avec cet attendu Interstellar (attendu comme le sont tous les films de Nolan, un mystère peut-être encore plus opaque que celui de nos origines), « revenir à l’âge d’or du blockbuster de science-fiction ».
Christopher Nolan, sauveur du genre comme son héros, un ancien pilote devenu fermier qui est chargé par la Nasa d’aller explorer d’autres galaxies – là où une heure équivaut à sept années terrestres – pour trouver un refuge aux pauvres Terriens et sauver l’humanité ? La science-fiction a ceci de beau qu’elle autorise plus que tout le reste, en tout cas temporairement, la mise en suspens de tout ce qui est plausible et croyable…
Nolan, donc, en grand manitou, en démiurge de tous les possibles, en gourou du « grand et noble cinéma » que lui défend mieux que les autres (tourné en IMAX 70mm, Interstellar prend l’affiche dans ce format là où c’est possible deux jours avant sa sortie en numérique, selon les exigences de notre Orson Welles moderne)… tout ça pour mieux faire revivre hier. Grain de l’image ultra-apparent, look vintage travaillé, textures tant sonores que visuelles mises en relief (l’orange carotte de la peau de Matthew McConaughey est du plus bel effet), travail remarquable de jeux de lumières ciselant les nuages de poussière qui enveloppent la terre ou clairs-obscurs énigmatiques et envoûtants composé par Hoyte Van Hoytema (Let the Right One In, Her), décors et costumes modestes et sans raffinement technologique… rarement la nostalgie d’un certain type de cinéma – celui aux yeux pleins d’étoile d’un Spielberg version Close Encounters of the Third Kind, celui au réalisme paranoïaque de Soylent Green, celui tout en maquettes et en joie de se perdre dans l’espace infini de George Lucas – n’aura été aussi formelle.
Et c’est bien là tout le problème. Car Interstellar, bien loin de poursuivre la démarche amorcée par ses images ne parvient qu’à s’y arrêter. Co-écrit comme toujours avec son frère Jonathan et sous la supervision scientifique du physicien spécialiste des trous de vers, Kip Thorne, le scénario de cette grosse machine qui se veut aussi définitive qu’un essai kubrickien mais s’empêtre dans sa propre arrogance, ne parvient ni à décomplexifier ses théories spatio-temporelles ardues, ni à complexifier ses pourtant essentielles interactions humaines. Aussi naïf qu’Armageddon (papa va abandonner fillette pour sauver l’univers), aussi maladroitement sexiste que Gravity (les femmes, on le sait, ont beau avoir un casque d’astronaute sur le crâne, elles ne sont que boules d’émotions), aussi niais et suffisant dans ses répliques que Flash Gordon (voilà tout de même un film où Anne Hathaway, les yeux tout mouillés, dit, sans rire, que l’amour est la seule chose à pouvoir voyager dans les autres mondes sans subir les contrecoups des changements dans le temps et dans la gravité), aussi marmonné, l’accent texan en sus, par McConaughey que The Dark Knight l’était par Christian Bale (Nolan aurait-il un fétiche pour l’homme qui parle dans sa barbe ?), Interstellar reste alors les pieds désespérément ancrés dans le sol et pense que les spectateurs, comme lui, se laisseront berner par les idées de grandeur qu’il s’est mis tout seul dans la tête.
Avec toute la sophistication formelle qu’il développe, impossible pourtant de ne pas voir l’essentiel derrière l’écran de fumée : singer ce qui a été fait hier sans être capable de dire aujourd’hui ou demain, créer du contraste entre le passé et le futur sans parvenir à être vertigineux, n’est pas qu’un signe de naïveté débilitante, c’est également symptomatique d’un état désolant du cinéma contemporain. Celle professée par des cinéastes comme Nolan tellement obnubilés par la forme qu’ils en deviennent cyniques et réactionnaires.
Oui, vraiment, mais qu’est-il arrivé à la science-fiction contemporaine ?
La bande-annonce d’Interstellar
6 novembre 2014