Iraq in Fragments
James Longley
par Helen Faradji
On pourrait reprocher plusieurs choses au documentariste (cumulant également les fonctions de réalisateur, directeur photo, producteur, monteur, musicien et ingénieur du son) James Longley, déjà auteur d’un Gaza Strip assez percutant. Mais on ne pourrait certainement ni mettre en question son engagement de documentariste, ni douter de sa sincérité. Ce qui n’est déjà pas si mal.
Pour son second long, Iraq in Fragments, Longley s’est en effet littéralement immergé dans le chaos irakien de février 2003 à avril 2005, pour en retirer 3 segments d’une demi-heure chacun composant son film avec une volonté toute visible de faire voir autrement, d’utiliser l’intime comme une porte d’entrée au plus général. Première prise : à Baghdad chez les sunnites, un gamin de 11 ans ayant perdu son père est apprenti dans un atelier de réparation automobile. Seconde prise : entre Naseriyah et Najaf, une plongée dans le mouvement politico-religieux chiite, Moqtada Sadr. Prise 3 : à Arbil, une famille de fermiers kurdes rêve d’indépendance. Aux yeux festivaliers, la méthode aux intentions tout à fait louables fut payante et valut notamment à Longley 3 prix au Festival Sundance (montage, réalisation et direction de la photographie) ainsi qu’une nomination aux oscars.
Ainsi auréolé, le film faisait évidemment envie. Mais dès sa première partie, Iraq in fragments pose pourtant de profondes questions à la nature même du regard documentaire. Car de quoi s’agit-il exactement? De faire le portrait d’un pays divisé, ravagé par une invasion américaine inique, de littéralement photographier 3 instantanés de vies brisées, 3 réactions populaire entre fatalité, déception, amertume, pure colère et vibrant anti-américanisme. Pourtant, à cette fin, Longley décide de faire coïncider sa mise en scène au sujet même qu’il désire illustrer : le chaos. Utilisant à peu près tous les effets de style aujourd’hui disponibles (de l’extrême gros plan à l’accéléré en passant par les jump cuts et les ralentis), le cinéaste déconstruit également toute linéarité en présentant chacun de ses segments dans un montage ultra-rapide, souvent kaléidoscopique et en refusant toute narration externe, laissant ses sujets parler eux-mêmes. Certes, cet accès direct à la voix des Irakiens est précieux. Mais cette stylisation extrême, magnifiant ses images (même les ruines peuvent devenir esthétiques chez Longley), cette folie du montage à tout prix, empêchent alors cette parole de se développer, de respirer et nous prive dès lors d’un véritable discours. Le geste poétique prend le pas sur le débat politique, le beau fait étrangement oublier le laid et le chaos contamine la réaction du spectateur qui sort de cet Iraq in Fragments encore plus déboussolé qu’il ne pouvait l’être en entrant.
À noter : chaque projection au cinéma du Parc sera suivie d’une discussion avec un spécialiste des affaires internationales. C’est un plus certain.
7 juin 2007