It Follows
David Robert Mitchell
par Céline Gobert
L’oeuvre du prometteur David Robert Mitchell, composée de deux films en cinq ans, forme un diptyque sur les suburbs américains, et sur les jeunes adultes qui la peuplent, dont The Myth of the American sleepover, serait le côté lumineux et It Follows le pendant plus sombre. Dans le premier, le cinéaste s’intéresse aux premiers émois amoureux d’une bande d’adolescents. Dans le second, il suit une jeune fille, venant de faire l’amour avec son petit-ami, victime d’une malédiction qui se transmet par rapport sexuel : quelque chose la traque, inlassablement, pour la tuer. Ce qui est commun aux deux oeuvres est l’exploration de l’émotionnel menée par le réalisateur américain, et symbolisée par sa fascination pour l’élément liquide sous toutes ses formes : la pluie, les lacs, les piscines… Toutefois, It Follows apparaît comme la version viciée du plus inoffensif (et excellent) premier essai. Dans ce second volet au coeur de la banlieue US, tout ce qui était de l’ordre du fantasme naïf, de la douceur et de la quiétude dans The Myth… laisse place à la peur. Que s’est-il passé entre la candeur du premier… et la terreur provoquée par le second ? La crise économique ! Comme en témoignent les maisons de Détroit en bord de route du décor, laissées à l’abandon, l’Amérique a été ravagée par une crise qui bouche l’avenir des jeunes. Le mythe s’est effondré, place au cauchemar. Au delà du film d’épouvante réussi (qui utilise à merveille l’arrière champ comme source de terreur), le film peut ainsi également être perçu comme une métaphore de l’effondrement de la société, et surtout des valeurs, américaines vu à travers le prisme d’une question qui a obsédé tant de cinéastes, de George A. Romero à Harmony Korine, en passant par Matthew Porterfield : quel est le devenir de la jeunesse américaine ? L’angoisse de la jeunesse serait donc personnifiée par une entité polymorphe maléfique qui s’acharne à les poursuivre. La Nuit des Morts vivants de Romero parlait au fond de la même chose, presque 50 ans en arrière: l’éclatement de la famille et du noyau social induit par l’attaque symbolique du cocon protecteur qu’est supposée être la Maison, et l’angoisse d’une jeunesse face aux atrocités de la guerre du Viêt Nam. Dans It Follows, la menace s’insinue également à l’intérieur du foyer – un foyer par ailleurs déserté par les parents dont on ne verra les visages qu’en photo. Au-dehors, parmi les drapeaux américains arborés un peu partout, il semble n’y avoir que désolation, menace, et avenir impossible.
Comme le faisait Korine dans son Spring Breakers en 2012, et surtout comme le fait tout l’univers carpenterien dans lequel David Robert Mitchell a puisé un bon nombre d’éléments formels, le film exploite la structure de la boucle comme motif d’enfermement: la caméra tourne en rond, les personnages en danger discutent en cercle, la malédiction agit comme un boomerang (et revient sans cesse à celui qui contamine), les tours en voiture ne vont nulle part, la musique électro de Disasterpeace suit de mêmes patterns… Les adolescents semblent piégés dans des boucles infernales – sensation accentuée par la caméra de Mitchell, souvent posée derrière des vitres (des maisons, des voitures). It Follows, en obéissant à cette structure fermée, s’inscrit dans le sillage du cinéma de John Carpenter, pour ne pas dire qu’il pille absolument son essence – du lieu clos à la thématique de la survie, en passant par la critique du capitalisme. Outre la musique 80’s et la lenteur associée au cinéma de Carpenter, on trouve aussi le lieu clos propre au cinéma du réalisateur : la base scientifique de The Thing, la prison de New-York 1977, le village de Fog, ou encore les suburbs d’Halloween. Les protagonistes de It Follows sont au coeur d’une double mécanique diabolique : celle, formelle, du film / celle, sociétale et politique, du monde contemporain. Les apparitions de ce “ It”, cette menace inexpliquée qui n’obéit à aucune logique, fonctionnent comme des flashs d’effroi, autant de grains de sable dans une machine (l’Amérique) plus aussi bien huilée qu’avant. Pensons au démembrement de l’ouverture ou à tous ces moments où l’action s’emballe, où toute normalité disparaît au profit d’une folie et d’une tension soudaines : le propre du cauchemar. La survie devient l’élément structurel du film (comme dans Assaut ou encore une fois Halloween). L’entraide défendue par les personnages s’oppose aux impératifs de survie (passer la maladie à quelqu’un d’autre par acte sexuel). Derrière se niche peut-être l’angoisse du cinéaste lui-même face à une société ravagée qui pousse à l’individualisme et à la loi du plus fort pour survivre. D’ailleurs, le plus gentil garçon de l’histoire ira jusqu’à refiler la malédiction à des prostituées (plus pauvres, plus faibles). Toutefois, malgré l’angoisse générale, immensément contagieuse, David Robert Mitchell semble être un optimiste : il a confiance en sa jeunesse. Le groupe, cette nouvelle famille, n’éclate jamais malgré les épreuves qu’il affronte. Tous ensemble, les jeunes continuent à se battre. La fin, très belle, synthétise cet espoir-là: la menace peut bien toujours être derrière eux, à les suivre à la trace, ils avanceront malgré tout, main dans la main.
La bande-annonce de It Follows
9 avril 2015