It’s a Free World
Ken Loach
par Helen Faradji
C’est encore le Ken Loach que l’on préfère. Le Ken Loach en prise avec son temps. Le Ken Loach des grandes préoccupations sociales. Le Ken Loach historique (The Wind That Shakes the Barley par exemple) est loin d’être inintéressant, ne nous méprenons pas. Mais c’est encore lorsque ses films nous aident à mieux prendre le pouls du monde dans lequel nous vivons qu’ils nous cueillent le plus.
It’s a Free World est à ce titre un film passionnant. Déprimant, certes, mais palpitant de cette sève enragée et engagée qui fait du réalisateur britannique un des cinéastes les plus courageux de son époque. Car combien sont-ils aujourd’hui ceux qui osent encore délaisser le confort d’un spectacle facile ou d’un magma sentimental bien-pensant ? Combien sont-ils encore à s’indigner, à refuser, à protester ?
Portrait « ladybirdien » d’Angie, une jeune trentenaire énergique, It’s a Free World, s’il s’inscrit dans cette veine, est pourtant différent des autres Loach. Certes, comme Bread and Roses, il abordera de front la question de l’exploitation des travailleurs immigrants illégaux. Mais si le constat d’un monde cruel, abrutissant et lénifiant reste d’actualité, le cinéaste déplacera néanmoins son point de vue pour nous laisser cette fois en compagnie des exploiteurs. Car Angie n’est pas une pauvre femme en révolte, mais plutôt une jeune professionnelle bien décidée à se faire une place en devenant agente de placement pour travailleurs temporaires. Epousant le mantra de choix d’un système ultra-libéral, « travailler plus pour gagner plus », elle sacrifiera l’éducation de son fiston et même sa propre ligne morale.
C’est d’ailleurs à ce moment précis que le film devient passionnant. Car Ken Loach est rusé et a bien pris soin de nous laisser nous attacher à son héroïne, fougueuse et dynamique (interprétée avec grande conviction par Kierston Wareing rendant le personnage riche et multidimensionnel, parfois même au détriment des personnages l’entourant). Il a bien pris soin de la filmer avec désir et admiration. Et lorsqu’elle dévie, nous sommes nous-mêmes pris dans ce drôle de cercle vicieux, pervers même, engendré par l’ultra-capitalisme. La pensée de la jeune femme le traduit : en transformant ces travailleurs surqualifiés en main d’uvre malléable et sans protection, elle leur donne une chance de se faire une place en Angleterre. La belle affaire ! Sur un scénario de Paul Laverty, fort justement récompensé à Venise, It’s a Free World nous plonge tête la première dans toutes les contradictions de nos sociétés libérales. Une plongée dont on ne ressort pas fier.
3 avril 2008