J’ai tué ma mère
Xavier Dolan
par Juliette Ruer
Il faut dans un premier temps s’installer dans le film. D’abord pour se nettoyer les oreilles du buzz engendré le parasitage médiatique autour d’un auteur de 20 ans qui est récompensé à Cannes pour un premier film est immense. Jusqu’à l’Assemblée nationale qui a salué son retour au pays -. Ensuite parce qu’on y embarque lentement. Cependant, on va y rester collé, jusqu’à la fin. La progression dramatique est un des aspects les plus réussis de ce premier long métrage.
C’est un exploit en soi, car à moins de particularités stylistiques frappantes, il n’est pas évident de saisir le coup de patte dans une première uvre. La signature n’est pas forcément prête. Mais la proposition de Xavier Dolan dans J’ai tué ma mère génère une émotion grandissante, et laisse transparaître la nécessité de ce film pour son créateur. L’auteur a eu assez de maîtrise pour manipuler les mécanismes de la charge émotive.
Une mère monoparentale fait ce qu’elle peut; un fils en secondaire 4 rue dans les brancards; tout explose, rancurs et révélations, amour et haine. Flamboyant récit d’apprentissage.
Mais il nous faut y croire, à cette saga. Hubert, le personnage jumeau de Dolan, fonctionne sur le mode crise existentielle à la vitesse fougue, sans demi-mesure. Il y a donc 50 % du temps où il nous casse les pieds. Surtout dans les prémisses, où l’on se retrouve parachuté en pleine guérilla contre sa mère. Dans ce tourbillon de 15-20 minutes, on grince devant la caricature trop forte et les stigmates de chacun, bien appuyés. Vérités trop vite sorties, malaises vite repérés, grands coups de gueules éreintants. Or, les scènes pivots (révélations au salon de bronzage, départ pour le pensionnat, crise téléphonique) vont agir comme des couches successives de glacis : chaque fois, les personnages se raffinent et l’on s’éloigne des évidences. Et plus le tableau devient crédible, plus l’émotion ressentie s’approche du réel. Bingo pour toucher ce maelström totalement illogique de sentiments composés (et partagés par la mère et le fils) de culpabilité, de manipulation, d’amour passionné, de fatigue énorme et d’envie d’indépendance. Selon l’âge du spectateur, on connaît intimement l’explosion de hargne de l’ado et/ou le visage vidé de l’adulte.
Les personnages se réduisent surtout aux deux principaux, la mère et le fils. Ils forment une pieta moderne, un ensemble en souffrance qui aurait les mêmes accents de vérité que la mère et la fille dans Les bons débarras : ils se parlent sans se livrer; sans pouvoir expliquer les forces contradictoires de leurs sentiments. Les discours se juxtaposent, le ton monte au quart de tour. Si Xavier Dolan s’en tire plutôt bien, c’est Anne Dorval qui séduit dans chaque scène, digne tragédienne d’un quotidien ordinaire.
On se serait très bien passé des scènes fantasmées surtout celle ou Anne Dorval se la joue Carole Laure en robe de mariée au ralenti dans le bois -; on ne prévoyait que trop une finale apaisée (fluviale, bien sûre; Luis Mariano, encore); on se fiche des personnages de Patricia Tulasne et de Suzanne Clément. Mais, sans rire, on va quand même sourire; du tragi-comique (même s’il n’est pas toujours bien dosé), de la justesse de certains bons mots et de quelques flèches (ce que veut dire l’adjectif « spécial » au Québec ). Les engueulades sont colorées, et permettent de mettre à jour une dimension intéressante à cette crise : ce conflit générationnel ne reste pas juste dans le domaine du personnel, il s’agrémente aussi de certains malaises sociaux (l’enfant roi, le divorce, l’acceptation des gays), et d’un conflit de classe et de rancurs culturelles (il lit Sade, elle bute sur Jackson Pollock : le tabou de l’intellectuel au Québec). Ce n’est pas un énorme brassage de cage, mais c’est toujours plus vif que la moyenne des ours .
4 juin 2009