Je suis à toi
David Lambert
par Helen Faradji
Lucas est du genre minet. Du genre à aguicher sur internet pour ramasser tous les sous qui peuvent bien traîner. Le virtuel, il maîtrise, son joli minois et son cabotinage sensuel de jeune éphèbe désinvolte sont ses armes. Il ne dit pas non à grand chose. Un jour, il tombe dans l’œil d’Henry, boulanger dodu et mal dans sa peau d’une petite ville grise de Belgique. Sous le charme, Henry le fait venir, lui promettant un salaire qui ne viendra pas et attendant affection et amour en retour. Mais confronté à la réalité, et notamment à Audrey, vendeuse dans la boulangerie, Lucas ne pourra plus porter son masque bien longtemps.
Déjà en 2011, avec Hors les murs, récit d’un amour empêché entre deux hommes, David Lambert impressionnait. Mise en scène sincère, sans être complaisante, direction d’acteurs impeccable, sensibilité de chaque instant, humilité bien portée… la formule a beau être d’une simplicité confondante, elle est ce qui fait que certains films dits « petits » avancent et dépassent le cadre fixe de l’écran pour toucher droit au cœur. Avec Je suis à toi, coproduction belgo-canadienne où le trio remplace le duo, c’est sur les mêmes bases que Lambert construit cette histoire directe et prenante, malgré une ambition romanesque plus marquée dont il semble quelque peu perdre le fil dans un dernier tiers plus artificiel et moins assuré.
Refusant encore une fois, avec bonheur, de faire de l’homosexualité un événement, le cinéaste belge mise alors plutôt sur une mise en scène dont l’assurance tranquille épate, portée par une direction photo discrètement lumineuse signée Johan Legraie, sans désir ostentatoire. Il y a aussi ces quelques scènes musicales et poétiques, dans la boulangerie d’Henry mise en valeur comme un lieu à la fois intime et de travail dynamisé par les opérettes d’Offenbach, qui traduisent aussi bien la légèreté de certains élans amoureux que la tristesse pouvant plomber les sentiments les plus délicats. Sentimental sans sensiblerie, émotif sans mièvrerie, parfois cru mais sans désir de provocation gratuite, Je suis à toi dessine alors avec finesse, sans insister, une trajectoire psychologique crédible et attachante à chacun de ses personnages. Oui, ils auraient tous bénéficié d’une assise scénaristique plus solide, mais n’en restent pas moins d’une belle et intéressante complexité. Henry (Jean-Michel Balthazard, émouvant dans un rôle écrit pour lui), boule dont la solidité ne cesse de s’émousser à mesure qu’il comprend que l’amour ne peut être une transaction marchande. Audrey (Monia Chokri), s’épanouissant à mesure que les murs de la prison où elle s’est elle-même enfermée tombent tranquillement. Et Lucas bien sûr (Nahuel Perez Biscayart, intriguant, prix d’interprétation à Karlovy Vary pour ce rôle), énigmatique et séduisant, enfantin et manipulateur, qui peu à peu sera forcé de révéler qui il est, ce qu’il est, histoire de ne pas entièrement sombrer.
Mettant en parallèle avec une certaine finesse la détresse affective et économique de ces êtres écorchés, et initiant une réflexion qui aurait probablement mérité quelques développements sur l’idée de possession, tristement applicable à tout aujourd’hui, Lambert laisse alors la banalité, notamment physique, de ces héros ordinaires faire véritablement empreinte sur l’écran en les observant avec un mélange bien dosé de tendresse et de cruauté. Ce faisant, il témoigne encore une fois de ce don bien unique à composer des histoires d’amour ne se souciant pas plus des conventions sociales que cinématographiques, et qui s’éloignent avec naturel et harmonie de tout cliché pour mieux leur redonner toutes leurs lettres de noblesse.
La bande annonce de Je suis à toi.
9 septembre 2015