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Critiques

Jo pour Jonathan

Maxime Giroux

par André Roy

Déjà présenté dans de nombreux festivals, dont ceux de Locarno, de Varsovie, de São Paulo, de Thessalonique (où il a obtenu un prix) et du FNC (où l’Association québécoise des critiques lui a remis son prix), le deuxième film de Maxime Giroux ne surprend pas mais réconforte : voilà un auteur qui poursuit une démarche, évidente dès le premier plan du film. Deux garçons et une fille cadrés dans un plan qui reproduit presque exactement un des premiers du précédent opus, Demain, dont il emprunte le ton, mélange de déflation narrative et d’atmosphère dépressive, que la lumière bleue de l’image accentue. Comme dans le film antérieur : même jeune homme renfermé, mal dans sa peau, avare de paroles, fort probablement peu instruit, issu d’un milieu pauvre. Il s’appelle Jo, vit presque en symbiose avec son grand frère, qu’il admire énormément et envie jusqu’à entrer parfois en conflit avec lui. Il lui faut prouver qu’il est à sa hauteur, qu’il peut comme lui affronter les délinquants du village dans des compétitions illégales d’autos. Il doit prouver qu’il est vivant.

Jo pour Jonathan se déroule en deux parties, d’une durée plus ou moins égale. Une première installe l’espace du récit, affirmant un travail narratif fait d’ellipses, de non-dits, de silence, qui se solidifiera dans la deuxième partie. Il faut bien situer Jo, son milieu (dans une banlieue aussi désolée que désolante), son ennui, ses errances avec un copain avec qui il fait des vols à la tire, ses tiraillements avec son frère. C’est un adolescent plutôt éteint, pas une beauté, qui n’a pas franchi le seuil du monde adulte. On sent chez lui une volonté de se dresser contre le monde, de s’affirmer comme homme. Mais c’est dans une course de voitures, dans laquelle il entraîne son frère, que sa vie basculera. Commence alors la deuxième partie dans laquelle Jo accomplira un geste irréversible envers son frère défiguré qui lui a demandé de le tuer.

On comprendra, surtout si on a vu Demain, que ce récit ne procède pas du romantisme ni de la passion qu’on associe souvent à l’adolescence. On est loin de la fureur et du déchaînement des sentiments d’un Elia Kazan dans Rebel Without a Cause, auquel fait certainement référence le cinéaste avec l’épreuve de la voiture. Ici, pas d’épanchements, pas de cris, que le mutisme, les gestes rares qui doivent signifier, dans leur minimalisme, la tristesse. Rien de romantique dans les déambulations par les rues de Jo, pas de révolte ni de courage dans les larcins, seulement un désœuvrement irrémédiable, quasi maladif. Pas de rêves, pas d’illusions. Qu’une réalité irréductible, un réel impossible à vaincre. L’unique façon de se définir de Jo sera cette course de voitures, à la fois affrontement et vengeance, pour sauver son honneur (il a perdu une des courses). Fatalement, ce sera pour lui un geste de non-retour, par quoi il est dit qu’il n’a rien d’autre qu’une vie sans avenir. Jo l’accomplira dans cette même insouciance qui le définit, dans cette molle réalité qui l’enveloppe, l’imprègne, l’aliène.

Comme dans Demain, le cinéaste montre un sens de l’observation aigu de la misère tant sociale que morale. Pénétrante est l’organisation de son film, plus dynamique que celle du précédent long métrage. La lenteur du regard qui s’ensuit paraît moins obsessive, et est en cela plus juste. Ses personnages prennent également plus d’épaisseur, n’étant plus victimes de la certaine cruauté du filmage qu’avait Demain, jouissant de la plus grande proximité d’un regard qui ne manque plus d’empathie, qui est tendre même, aidée par une musique fragmentaire. Une hauteur morale se maintient dans l’absence de sentiment de pitié envers les personnages. Certes, Jo est voué à un destin misérable. Mais de cela, on ne peut déduire ni mépris ni lâcheté de la part de l’auteur, simplement l’affirmation d’un présent immuable. Le geste de Jo est accordé à ce présent, et ne signifie pas plus un rachat (il s’est senti coupable de l’accident) qu’il n’appelle de salut.

Toute la logique du récit, sa construction qui mise, dans un refus d’assigner une vérité transcendantale aux êtres et aux choses, sur l’immobilité et l’aridité, le filmage tout en suspension temporelle (voir la scène de l’accident annoncé par un long plan silencieux, magnifique) et une dilatation narrative qui porte en elle les germes du geste violent de désespoir de Jo, tablent sur la tragédie, qui sera toujours inévitable, dont la mythologie – si mythologie il peut y avoir – refuse ornementation et flamboyance pour ne se cristalliser que dans la néantisation de l’existence. Mais l’auteur n’abandonne pourtant pas totalement son jeune homme ; malgré l’indiscernabilité du geste (on ne l’explique pas, pas de psychologie ici), il lui donne, dans une réalisation qui colle parfaitement à l’anesthésie du réel dévoilée, une responsabilité : celle de sa liberté, même si elle a la beauté triste du désastre.

La bande annonce de Jo pour Jonathan


7 juillet 2011